L’adoption de l’Inflation Reduction Act (IRA), promulgué par Joe Biden le 16 août 2022, a été célébrée comme un tournant dans la politique étatsunienne de lutte contre la crise climatique. Sur un montant total de 738 milliards de dollars, 391 pourront être affectés à des dépenses dans le domaine de l’énergie et du changement climatique : clairement un progrès par rapport au funeste blocage pratiqué par l’administration Trump et la timidité des avancées des administrations Obama. Et même si son impact escompté est de réduire les émissions de gaz à effet de serre des États-Unis de quarante pour cent en 2030 par rapport à 2005, le paquet législatif revêt une dimension regrettable dont les effets négatifs commencent à se faire sentir : il est profondément protectionniste. Avant même d’être dilué et reformaté pour emporter l’adhésion de Joe Manchin, le sénateur démocrate proche des intérêts fossiles, le Build Back Better Act sur lequel Joe Biden avait fait campagne et qui a servi de brouillon à l’IRA jouait lui aussi sur la préférence nationale (« Buy American »).
Ce qui a déclenché l’acrimonie d’Emmanuel Macron, qui a fait savoir à son homologue américain lors de sa visite fin novembre à Washington tout le mal qu’il pensait des barrières que le dispositif américain érige de fait contre des produits français, dont les voitures électriques. Un sentiment partagé au sein de l’UE, dont les ministres des finances ont tempêté contre l’IRA, exprimant leurs « préoccupations graves » et menaçant de porter l’affaire devant l’Organisation mondiale du commerce. En Inde, la nature protectionniste de l’IRA n’est pas non plus passée inaperçue, New Delhi se préparant à adopter un plan de développement industriel de lutte contre le changement climatique lui aussi fortement teinté de nationalisme.
Étrangement, dans ce dossier, ceux qui ont traditionnellement prôné un libre-échange pur et dur au nom de la croissance se retrouvent alignés au moins en partie avec ceux qui mettent en garde contre la myopie de politiques climatiques axées sur la préférence nationale. Certes, les sirènes de la globalisation effrénée ne font plus rêver grand-monde. Mais même les gouvernements qui souhaitent sincèrement s’engager dans des stratégies de décarbonation constatent qu’il est plus facile pour ce faire de construire des majorités qui font la part belle aux considérations nationales. Des années précieuses vont sans doute encore être sacrifiées sur l’autel du nationalisme économique. L’urgence climatique contraindra tôt ou tard les gouvernements à miser sur la solidarité et la coopération plutôt que sur la recherche de la croissance pour accélérer la transition : autant donc s’y mettre dès maintenant, sans attendre que les règles du commerce international, fruits de décennies d’efforts pour faire régner inconditionnellement les lois du marché, n’atterrissent à l’ère du péril climatique.