Une étude récente de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) américaine indique que la température moyenne globale de surface des océans s’est établie à 21,1 degrés au début du mois d’avril, ce qui signifie qu’elle a battu d’un dixième de degré le record précédent datant de 2016. Ce n’est pas surprenant en soi, sachant que les océans absorbent et stockent, lentement mais sûrement, une grande partie de l’excédent de chaleur qui résulte des émissions humaines inconsidérées de gaz à effet de serre et s’accumule, dans un premier temps, dans l’atmosphère. Ce qui est plus surprenant, c’est que ce record intervient au sortir d’une séquence froide (catégorisée La Niña) de trois ans. Or, une période chaude (El Niño) se prépare.
Remémorons-nous à quoi correspondent ces deux termes espagnols. L’histoire avait commencé comme un conte de Noël : les pêcheurs travaillant au large du Pérou et de l’Équateur avaient constaté que certaines années, une inversion de courant plus prononcée que d’habitude leur amenait de l’eau anormalement chaude et mettait fin prématurément à la saison de pêche. Du fait de la proximité des fêtes de la Nativité, ils avaient baptisé le phénomène « El Niño ». Lorsque le phénomène inverse se produisait et que leurs eaux étaient anormalement froides, c’était « La Niña ».
Depuis, les scientifiques ont constaté que cette alternance était liée à un cycle de variation de la pression atmosphérique globale affectant les zones centre et ouest du Pacifique tropical, nommé l’Oscillation Australe, donnant à l’ensemble le nom de ENSO (El Niño – Southern Oscillation). Surtout, ils ont découvert que ces cycles impactent en réalité le monde entier, par le biais des régimes de courants, de vents et de précipitations. Si tous les mécanismes à l’œuvre dans ENSO ne sont pas encore entièrement compris, leur effet global ne fait plus aucun doute ; il a déjà été, dans certains cas, cataclysmique. De nombreux programmes scientifiques scrutent désormais le phénomène et tentent d’en améliorer les prédictions. Par convention, lorsque la variation ENSO dure de sept à neuf mois, on parle de « conditions » ; si elle dure plus longtemps, on parle d’« épisode ».
Comme nous sortons de trois années consécutives de conditions « La Niña », celles-ci ont masqué le réchauffement sous-jacent, qui, lui, a continué sous l’effet d’une concentration toujours plus élevée de CO2 dans l’atmosphère. Ce qui est extrêmement inquiétant, c’est que le record précédent était intervenu à l’issue de l’épisode El Niño particulièrement fort qui avait prévalu de 2014 à 2016. En d’autres termes, lorsque la planète va basculer vers des conditions ou un épisode El Niño cette année (la NOAA estime la probabilité d’un El Ninõ en mai-juillet 2023 à 62 pour cent), elle risque fort de nous infliger des extrêmes climatiques d’une puissance inédite, alimentés conjointement par ENSO et des océans déjà fortement réchauffés. Nous ignorons les lois de la thermodynamique à nos dépens, ou, comme le répètent à l’envi les climatologues, « nature bats last ».