Il ne fait pas bon protester contre la poursuite du statu quo fossile ces jours-ci. Un peu partout, ceux qui participent à des actions destinées à accélérer la prise de conscience des risques des crises du climat, de la biodiversité ou des inégalités s’exposent à une répression policière et judiciaire de plus en plus féroce. À Sainte-Soline en France, une manifestation contre une méga-bassine aux antipodes d’une agriculture compatible avec la préservation du climat a donné lieu fin mars à des scènes de guerre, avec des assauts donnés par des gendarmes en quads harnachés et armés jusqu’aux dents. En Allemagne, les « Straßenkleber » qui bloquent le trafic automobile en se collant à la chaussée écopent de peines de plus en plus lourdes ; à Heilbronn, deux d’entre eux ont été condamnés à trois et deux mois d’emprisonnement lors d’une procédure accélérée. Au Royaume-Uni, des activistes environnementaux qui avaient pris part au blocage d’une route en 2021 ont été condamnés le mois dernier à sept semaines de prison surtout parce qu’ils avaient ignoré l’ordre donné par le juge de ne pas se référer à la crise climatique pour expliquer leur geste.
D’un autre côté, dans de nombreux pays occidentaux, les actions en justice pour faire reconnaître l’inaction des pouvoirs publics ou la responsabilité des groupes pétroliers avancent et mettent les gouvernements sous pression. Aux États-Unis, même la Cour suprême, pourtant ultra-conservatrice depuis la présidence Trump, a dû se résoudre il y a quelques jours à laisser se poursuivre des plaintes d’États ou de villes américaines contre des majors pour leur culpabilité avérée dans les dégâts causés par le réchauffement, alors que les compagnies pétrolières comptaient sur ce bastion presqu’ouvertement réactionnaire pour échapper à des amendes qui risquent de se compter en milliards de dollars.
Face à ces évolutions divergentes, les activistes peuvent être tentés de changer de stratégie. C’est le cas outre-manche du mouvement Extinction Rebellion, qui a décidé au début de l’année de renoncer aux actes de désobéissance civile qui l’ont fait connaître pour organiser avec des dizaines d’autres groupements pour des mobilisations de nature consensuelle. Des dizaines de milliers de personnes ont ainsi convergé le week-end dernier autour de Westminster pour « The Big One », une manifestation conviviale de défense du climat.
Est-ce à dire que les mouvements de désobéissance civile ont fait leur temps ? Rien n’est moins sûr. En France en tout cas, c’est davantage une confrontation de plus en plus ouverte qui s’esquisse. « Parce qu’elle se sent trahie », la « génération de jeunes militants qui constatent les limites des marches pour le climat et des happenings bon enfant » sera de plus en plus tentée par la révolte ou la résistance et « elle se contentera de moins en moins souvent de la désobéissance civile non violente », a prédit dans une tribune au Monde l’ancien député écologiste Noël Mamère.