Les offsets carbone, ces compensations censées neutraliser les émissions de gaz à effet, constituent-ils un vaste marché de dupes ? Deux informations publiées cette semaine viennent étayer ce soupçon. La première concerne Verra, premier agent certificateur de titres carbone au monde, dont le patron a annoncé qu’il abandonnait ses fonctions le mois prochain, quelques mois après une enquête qui a mis à jour le caractère peu fiable de la méthodologie utilisée. La seconde porte sur les pratiques de Chevron, deuxième compagnie pétrolière privée mondiale, qu’une étude accuse de s’appuyer, dans sa communication sur ses efforts en faveur du climat, sur des offsets « bidon ».
Les causes du départ de David Antonioli, CEO de la société à but non lucratif Verra depuis quinze ans, n’ont pas été révélées. Mais le fait que son poste soit repris à titre intérim par le président récemment nommé de son Conseil suggère que l’entreprise traverse de sérieuses turbulences. En janvier, le Guardian, Die Zeit et la plateforme d’enquêtes Source Material avaient révélé que Verra, qui certifie trois quarts des certificats carbone émis dans le monde, n’était pas vraiment regardante et que plus de 90 pour cent des titres qu’elle garantit étaient « sans valeur », la garantie étant souvent fondée sur la préservation de forêts tropicales non menacées. Dans le cas d’un projet de conservation à Alto Mayo au Pérou, sur lequel s’appuyait Disney pour affirmer avoir réduit ses émissions, l’enquête avait même révélé que la prétendue opération de préservation avait donné lieu à des expulsions d’habitants.
Dans sa communication, Chevron affirme vouloir neutraliser ses émissions amont d’ici 2050 grâce à des compensations et des technologies de capture de carbone. Mais une enquête menée par le groupe Corporate Accountability a constaté qu’en plus de ne porter que sur quelque dix pour cent de ses émissions totales, cette promesse était entachée de problèmes comparables à ceux identifiés chez Verra. 93 pour cent des offsets mis en avant par Chevron entre 2020 et 2022 étaient « trop problématiques au plan environnemental pour être classés autrement que sans valeur ou bidon », a rapporté mercredi le Guardian. Environ la moitié de ses offsets sont liés à des barrages, alors que ceux-ci ne génèrent pas de nouvelles réductions d’émissions et risquent même souvent d’en générer eux-mêmes, entre autres déficiences.
À vrai dire, depuis que les offsets existent, le soupçon n’était jamais loin. Ce n’est certainement pas le client d’une compagnie aérienne qui va pouvoir vérifier si le surcoût que celle-ci lui propose de payer sur son ticket pour « s’absoudre » des émissions qu’il occasionne en volant correspond à des réductions effectives de CO2. Mais si les agences de certification censées moraliser ce secteur émergent de l’action climatique font un travail approximatif, les grands groupes s’engouffrant prestement dans la brèche pour endosser des réductions d’émissions largement imaginaires, ce à quoi on a affaire en réalité est un marché d’indulgences trompeur, sinon climaticide.