Le dernier gimmick à la mode pour simuler une prise en compte des crises climatique, environnementale et sociétale par le monde des affaires avance sous les traits d’un acronyme. Déployer une stratégie ESG, pour « environmental, social and governance », c’est suggérer un comportement responsable à l’égard de ces questions. En pratique, les entreprises picorent, dans des référentiels peu contraignants, des « indicateurs-clés de performance » qui leur conviennent et s’en vont parader, objectifs de développement durable de l’ONU à l’appui, comme champions de la décarbonation, de la lutte contre les discriminations ou de la sécurité au travail. Cette approche se résume le plus souvent à de la communication destinée à gagner des points auprès des investisseurs attentifs aux scores ESG.
De là à penser que pour les milieux conservateurs américains, l’univers ESG devrait être pain béni, il n’y a qu’un pas. C’est sans compter l’aile droite du parti républicain, jamais en reste lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts les plus rétrogrades. Pour ces inconditionnels des énergies fossiles, l’abréviation ESG est assimilée à une invention diabolique, woke pour tout dire, susceptible de réduire les retours sur investissement et les rendements des fonds de pension. Une enquête menée par Documented, un bureau d’enquêtes journalistiques, qui a débouché sur un reportage détaillé du New York Times, a révélé comment une association de trésoriers d’États contrôlés par le parti républicain s’est organisée ces dernières années pour mettre les leviers financiers de ces États au service de croisades punitives contre les fonds et banques qui utilisent les critères ESG pour décider où investir. Riley Moore, le trésorier de la Virginie occidentale, a annoncé que Goldman Sachs, JP Morgan et Wells Fargo, entre autres, allaient être exclus de contrats octroyés par son État en raison de leur intention de réduire leurs investissements dans le charbon. Lui et ses collègues de Louisiane et d’Arkansas ont conjointement retiré 700 millions de dollars de BlackRock, le premier gestionnaire de fonds au monde, auquel ils reprochent d’être obnubilé par des considérations environnementales. Leurs efforts sont soutenus par les candidats aux primaires républicaines Mike Pence et Ron DeSantis. Au Texas, une loi signée par le gouverneur Greg Abbott interdit aux agences de l’État d’investir dans des entreprises qui ont cessé leurs relations avec les compagnies d’énergie fossile. Pour ces républicains déchaînés, la notion-même d’ESG est désormais anathème.
Au lieu de s’emparer de la feuille de vigne que lui offrent les stratégies ESG, la droite dure américaine fait le choix inepte d’ouvrir un front purement idéologique au cœur du système qui la nourrit. Une démarche jusqu’au-boutiste de polarisation délibérée, lourde de conflits violents. Au risque de creuser sa propre tombe à plus long terme, elle mise sur les bénéfices à court terme de cette radicalisation, convaincue que les adeptes des critères ESG, des baby steps et de la construction de consensus amples se laisseront prendre à ce jeu de dupes et émousseront leurs dispositifs.