Un mois jour pour jour Xavier Bettel et Paulette Lenert avaient l’air grave, mais aussi très fatigués, en arrivant dans la salle de presse au ministère de la Coopération, Hôtel Saint-Augustin, ce mercredi à 17 heures. Il y a un mois, jour pour jour, c’était un dimanche soir, ils avaient annoncé ici même le confinement de toute la population, la fermeture des écoles, restaurants, cafés, commerces et autres lieux publics (mais pas des chantiers, qui allaient fermer vendredi 20 mars). Seuls quelques métiers systémiques allaient continuer à fonctionner en temps de crise sanitaire déclenchée par le Covid-19, les administrations publiques et privées passaient en télétravail. « Nous avons réussi à garder le contrôle sur le virus », rassura le Premier ministre libéral mercredi après-midi. « Nous devons garder un œil sur le virus, mais pas que… » Il y a aussi, désormais, d’autres facteurs qui entrent en jeu pour décider de la politique du gouvernement : l’état de l’économie, inquiétant (les économistes craignent une chute du PIB entre quatre et cinq pour cent cette année), mais aussi l’état moral et psychique de la population, tout aussi important. « Les gens souffrent beaucoup du confinement », insista Bettel.
Surtout, et c’est le critère principal, depuis plusieurs jours consécutifs, les courbes des nouvelles infections et des décès se sont stabilisées. Ce 15 avril au soir (derniers chiffres disponibles avant bouclage), le portail du ministère de la Santé annonce que 1 373 personnes ont été testées positives au Covid-19, 191 patients sont hospitalisés, dont 33 en soins intensifs ; 69 en sont morts. Mais il y en a aussi 526 qui ont pu quitter les hôpitaux après un déroulement grave de la maladie. « Les mesures que nous avons prises ont eu les effets que nous espérions : les chiffres baissent », affirma la ministre socialiste de la Santé Paulette Lenert, remerciant les personnels de santé et montrant de l’empathie pour les malades et les familles frappées par un décès. La distanciation sociale imposée a permis de freiner la propagation exponentielle du virus. En un mois, le système hospitalier a été boosté avec des investissements conséquents pour acheter les équipements (lits de soins intensifs, respirateurs, masques et autre matériel de protection) et médicaments nécessaires. Des restructurations importantes de l’organisation des hôpitaux ont été organisées, de manière à ce que, aujourd’hui, la cellule de crise de la Santé est confiante qu’« en faisant de petits pas », on peut envisager une réouverture. De petits pas, mais avec toujours un œil rivé sur l’évolution des chiffres de la maladie, qui a « un taux de mortalité qui fait peur ». Le virus, rappela Lenert, demeure largement inconnu, il n’y a toujours ni médicament ni vaccin, même si les chercheurs travaillent dessus. Le mot d’ordre est donc : monitoring et ajustements.
Stratégie commune ? Lundi, Emmanuel Macron a tenté de donner un horizon aux Français (plus de 17 000 morts du coronavirus) en annonçant un retour progressif à la normale à partir du 11 mai, avec réouverture progressive des écoles et reprise de l’activité économique (à l’exception des lieux rassemblant du public, comme les restaurants, cafés, hôtels et espaces culturels). Mercredi matin, les médias reprenaient des images de la joie des enfants danois qui retrouvaient leurs copains à l’école et celles des queues devant les magasins de bricolage rouvrant cette semaine en Autriche. Au moment même où les ministres luxembourgeois parlèrent, la Première ministre belge Sophie Wilmès annonça le plan de déconfinement progressif du Royaume (4 400 morts), avec de premières adaptations dès ce week-end (magasins de bricolage, pépinières, parcs de recyclage…), puis une première vraie ouverture à partir du 4 mai. À la fin de la conférence de presse des ministres luxembourgeois, la chancelière Angela Merkel (3 800 décès seulement ce jeudi matin) fit entrevoir aux Allemands un jour meilleur : réouverture des petits commerces ou des salons de coiffure dès la semaine prochaine, réouverture des écoles prévue le 4 mai – avec la possibilité d’ajuster la route à suivre, de freiner ou d’accélérer les étapes tous les quinze jours. « Il serait difficile d’avoir une stratégie d’exit commune sur le plan européen, alors que nous n’avons pas eu de stratégie commune d’entrée en confinement », regretta Xavier Bettel mercredi. Or, même sans concertation officielle, ces stratégies de déconfinement des pays voisins se ressemblent. Aussi dans leur articulation à chaque fois très vague.
La nouvelle normalité À partir de ce lundi, 20 avril, donc un mois après leur fermeture (durant laquelle les quelque 30 000 ouvriers du secteur ont pu avoir recours au chômage partiel), les chantiers de la construction et de l’artisanat reprendront leur activité. Aux entreprises de garantir la sécurité et la santé de leurs employés. Impliqués depuis deux semaines dans la stratégie par le gouvernement, les organisations patronales ont développé des « boîtes à outils » via vidéo ou dépliants, que les travailleurs désignés à la sécurité auront la charge de mettre en place. Il s’agit du respect des gestes barrière, notamment la distance de deux mètres entre les ouvriers, puis du port des masques de protection quand cette distanciation n’est pas possible (par exemple dans les transports vers les chantiers). Les baraques de chantiers seront fermées, aux ouvriers de trouver des endroits où manger, et les outils ne pourront plus si simplement être prêtés entre ouvriers. Alors que beaucoup d’entreprises avaient offert leurs masques notamment au secteur de la santé, démuni au début de la crise, elles ne savent pas encore comment garantir la mise à disposition de masques d’ici lundi. La mise en place de ces nouvelles procédures pourrait prendre une semaine. En même temps, les magasins de bricolage, les pépinières ou jardiniers-paysagistes pourront recommencer à travailler à partir de lundi aussi et tous les gens qui ont profité du temps passé à la maison pour ranger pourront se débarrasser de leur brol aux centres de recyclage.
Le grand public est tenu de porter des masques à partir de lundi, et ce dans tous les endroits où la distance de sécurité de deux mètres ne peut pas être garantie, comme au supermarché ou dans les transports publics. Le gouvernement a acheté des stocks de « six ou sept millions » (XB) de tels masques, qui seront distribués dans les prochains jours sous forme de kits gratuits à tous les ménages, avec l’aide du Syvicol et du Cegedis, qui aident à les dispatcher dans les communes. Mais « une écharpe, un chèche, un foulard, un masque fait maison ou un buff » feront aussi l’affaire, promet le Premier ministre, l’idée étant de ne pas transmettre le virus par des gouttelettes en éternuant ou en toussant. Par contre, le gouvernement est réticent à l’emploi d’applications de traçage, discutée sur le plan européen (voir page 6).
Déphasage à l’école Alors que la réouverture des écoles avait été annoncée pour le 4 mai, seuls les élèves des classes terminales seront finalement convoqués à partir de ce jour-là, afin qu’ils puissent retravailler les matières apprises à la maison durant deux semaines, puis écrire leurs examens à partir du 25 mai – et envisager s’inscrire à l’université ensuite. Pour les bacheliers comme pour tous les autres ordres d’enseignement, l’enseignement se fera en alternance pour le restant de l’année scolaire : les classes seront divisées en deux, une moitié travaille l’école la première semaine, puis les élèves répètent la matière chez eux la deuxième, lors de laquelle le deuxième groupe sera à l’école et ainsi de suite. L’objectif de cette rotation étant toujours, comme l’a expliqué le ministre de l’Éducation nationale Claude Meisch (DP) ce mercredi, de réduire le nombre d’élèves par groupe et garantir les distances de sécurité. Ces déphasages s’appliqueront aussi dans les espaces communs, comme les cours de récréation ou les couloirs ; les cantines resteront fermées et il n’y aura pas de sport. Le port du masque est obligatoire partout sauf en salle de classe. La rentrée des autres élèves du secondaire se fera à partir du 11 mai, l’enseignement fondamental suivra le 25 mai, date à laquelle pourront également rouvrir les crèches et les maisons-relais. D’ici-là, les parents devront continuer à assurer la garde eux-mêmes, donc avoir recours au congé pour raisons familiales.
Si toutes les manifestations accueillant un public nombreux – pèlerinage de l’Octave, messes, kermesses, célébrations de la Fête nationale, concerts, festivals ou spectacles de théâtre – sont d’ores et déjà interdits jusqu’à fin juillet, le gouvernement est beaucoup moins précis dans son plan de réouverture des commerces autres que ceux évoqués ci-dessus. Pour les restaurants, les salons de coiffure ou les salles de sports, aucune date concrète n’est avancée, même pas en coulisses. Le gouvernement, expliqua Paulette Lenert, veut éviter que les gens fassent des virées shopping ou des soirées au restaurant à être longtemps assis à plusieurs dans des petites surfaces. Des adaptations des aides à ces entreprises doivent être présentées prochainement.
Safety first, economy second ? Alors que jusqu’ici, les considérations de santé prévalaient sur toute décision politique, cette approche est en train de changer. Sauver des vies peut aussi consister à sauver la survie économique des ménages. Un retour à la normale d’avant mars semble inconcevable actuellement, tellement l’arrêt de la vie imposé par le virus fut brutal et la récession économique qui s’annonce une fracture. Aussi longtemps que les scientifiques n’auront pas trouvé de remède contre le virus, les restrictions resteront de mise, surtout pour les groupes vulnérables (personnes au-dessus de 65 ans et malades surtout).
Afin de ne pas laisser les décisions sur la mise en place des prochaines étapes aux seuls épidémiologues, virologues et autres experts de santé, le gouvernement a nommé ce mercredi un groupe d’accompagnement ad hoc, constitué de représentants des syndicats (Nora Back, Chambre des salariés), du patronat (Alexa Ballmann pour l’artisanat et Luc Frieden pour la Chambre de commerce), de psychologues (Gilbert Pregno, CCDH, René Schlechter, ORK, Claus Vögele, Uni.lu), de la médiateure Claudia Monti et de l’éthicien Erny Gillen, qui doit « évaluer de manière régulière les effets secondaires de ces mesures de confinement », selon le communiqué du gouvernement. Politiquement aussi, le gouvernement envisage désormais la sortie du mode alarme, en pensant l’après-état de crise. Xavier Bettel a annoncé la rédaction d’un projet de texte pour une « loi pandémie », qui permettrait de laisser en place les mesures d’urgence pour lutter contre la pandémie et abroger les lois existantes là où ce sera nécessaire tout en quittant le toujours inquiétant mode de l’état de crise, durant lequel le gouvernement jouit de pouvoirs élargis. Ce serait un prochain grand pas vers le retour à la normale.