Le récit de voyage de Lubaina Himid et Magda Stawarska à voir au Mudam

La mer emporte

d'Lëtzebuerger Land vom 28.03.2025

Il est difficile de dire par où commencer la visite de l’exposition Nets for Night and Day. Chacun y trouvera quelque chose qui le concerne intimement : Venir de quelque part, s’installer ailleurs, y habiter et trouver son identité. Repartir peut-être ou partir une première fois, car notre époque est incertaine.

Visiter Nets for Night and Day de Lubaina Himid et Magda Stawarska, c’est aussi et pour beaucoup, déambuler librement au cœur de l’Europe, à Luxembourg, dans une exposition ouverte à tous, alors que l’hydre des interdits et des normes binaires commence à étouffer la tolérance. À croire que nous pouvons être, au moins pour un temps encore, les visiteurs d’une histoire racontée par deux créatrices d’exception. Lubaina Himid, peintre et poète, citoyenne britannique née à Zanzibar en 1954, lauréate du prestigieux Turner Prize en 2017 et sa compagne Magda Stawarska, artiste multidisciplinaire, photographe, vidéaste, artiste sonore, née en 1976 en Pologne et installée il y a deux décennies en Grande-Bretagne.

De la première, on verra essentiellement des peintures et des lettres, adressés à Omar Kholeif, responsable des collections de la Sharjah Art Fondation aux Émirats Arabes Unis et commissaire invité de l’exposition au Mudam. On commencera la visite par la galerie ouest, où on déambule entre neuf diptyques de Lubaina Himid, peints entre 1999 et 2023. C’est un parcours entre les toiles librement accrochées dans l’espace, qui narre le voyage de l’Angleterre vers Zanzibar où Lubaina Himid est née mais qu’elle quitta très vite avec sa mère après la mort prématurée de son père. Les origines comoriennes du père et la culture de la Tanzanie et de l’Afrique de l’Est, ont fait de Lubaina Himid, une figure phare du British Black Movement. Son engagement, depuis quarante ans, a permis la reconnaissance d’une culture ignorée par l’histoire de l’art occidentale et une mémoire sensible, la sienne, dans laquelle chaque visiteur retrouvera une part de son propre vécu. Le titre des neuf toiles Plaited Time/Deep Water fait référence à la manière de l’artiste de tresser le réel et l’imaginaire. Ce qui nous projette, comme si c’en était le prologue, dans les « filets » du titre général de l’exposition, Nets For Night and Day.

Magda Stawarska accompagne le visiteur par un « libretto » sonore : Le bruit de la pluie de l’Angleterre à Zanzibar, une mélopée orientale jouée au oud et un lamento qu’Henry Purcell a mis en musique de manière poignante : la mort de Didon dans Didon et Enée. «The sound installation is like women’s tears that fill the ocean”, commente Omar Kholeif.

Le voyage peut continuer dans la galerie est du musée. Au passage, dans le Jardin des sculptures, le soleil tapait si fort le jour de notre visite, que l’on n’a malheureusement pas pu regarder les vidéos de Magda Stawarska In Transit. De là, les carrioles de Lubaina Himid reprennent sous forme d’objets, ce que beaucoup de personnes ont connu un jour : Partir en n’emportant que le nécessaire. Le Luxembourg fut d’ailleurs une terre que l’on quittait, touchée par les famines et les maladies, avant la richesse apportée par le minerai, pour devenir un pays d’immigrés, qui composent aujourd’hui sa nationalité multiple.

On a vu que Lubaina Himid a peint parmi des objets du quotidien essentiels, aussi des instruments de musique sur ces carrioles d’Europe de l’Est. Le compositeur Belà Bartòk (1881-1945) n’-a-t-il pas collecté des mélodies populaires hongroises, rassemblant avant l’heure des musiques du monde ? Car ce dont parle la partie centrale de l’exposition est universel : les migrations du passé, les migrations du présent et les migrations dans un futur incertain.

Sur le plan plastique, c’est comme si Lubaina Himid et Magda Stawarska avaient dans une certaine mesure inversé les rôles. Car on fait le tour de la présentation des œuvres de Lubaina Himid sur un fond sérigraphié comme un océan à traverser. La bande bleutée de Magda Stawarska, qui n’est pas sans rappeler les motifs de peintures de la galerie ouest, est comme un palimpseste où des individus, des groupes, des peuples, ont inscrit leur voyage sur la précédente migration. Sur cet océan et ces histoires superposées, il y a une armada de bateaux peints par Lubaina Himid. Des marchés flottants, des porte-conteneurs des villes entières… Les filets photographiés par Magda Stawarska qui s’intercalent recouvrent des façades d’immeubles urbains ou sont des filets de simples pêcheurs qui habitent leur embarcation. Some Boats Wait Forever est une citation que l’on remarque à peine à l’entrée de la salle. Et si les filets symbolisaient comme le Lubaina Himid, « les lieux que nous portons en nous, mais que nous ne quittons jamais vraiment ».

Nets For Night and Day, de Lubaina Himid et Magda Stawarska, est à voir au Mudam jusqu’au 24 août

Marianne Brausch
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