Dans la précédente exposition à la Valerius Gallery, on avait vu de Siro Cugusi un vase rappelant les porcelaines hollandaises, au bouquet opulent, sur fond rose. Du classicisme, objet centré et technique « à l’ancienne » , dans un pot-pourri entièrement consacré aux fleurs. Son tableau, attirait le regard parmi des œuvres pour la majorité à l’expression beaucoup plus contemporaine, qu’elles soient figuratives ou abstraites.
Fascinés par le sujet et l’art du peintre, Lou Philipps et Gérard Valerius ont contacté Siro Cugusi et, a contrario de beaucoup d’expositions qu’il faut planifier longtemps à l’avance, le peintre, qui vit en Sardaigne ( il y est né en 1980, a étudié à l’Accademia di Belle Arti de Sassani en Sicile), a immédiatement répondu d’accord. Voici donc sa première exposition monographique à Luxembourg : All things great, small, invisible.
La première chose qui frappe, c’est la dimension de la majorité des peintures. Des grandes, pour ne pas dire de très grandes huiles sur toile (jusqu’à 194,5 x 269 cm) étant donné les sujets : papillon, champignon, marguerite. Celle-ci est parmi les grandes œuvres, la toile la plus récente (2022-2024), les autres datant de 2021-2022. On parle ici de la date d’achèvement, car certaines ont pris entre deux et cinq ans pour la réalisation.
Mais revenons aux sujets des tableaux. Nous intitulons cet article « Chimères », non pas pour les animaux maléfiques que les Anciens appelaient ainsi, mais au sens des connaissances pas encore dévoilées dont la gardienne était la déesse Athéna. Il fallait, pour comprendre, développer un sens de la stratégie. Il le faut également pour comprendre la peinture de Siro Cugusi.
Ou plus exactement, plonger dans les connaissances de l’histoire de l’art, dont le titre, All things great, small, invisible, est en quelque sorte l’énigme à résoudre. Tout d’abord, il y a le jardin. C’est le décor dans lequel se jouent les scénarios des tableaux. Il est minutieusement exécuté et forme l’arrière-plan. C’est une interprétation tout à fait personnelle, mails il nous fait penser à la bordure habituellement d’avant-plan des tableaux de la Renaissance, avec leurs herbes, leurs petites fleurs, leurs fraises minuscules qui dessinent une bordure si fine… Dans ce jardin merveilleux, voici encore des éléments qui habituellement sont décoratifs : champignon, papillon, où ils font partie de natures mortes. On peut dire que Siso Cugasi en fait ici le portrait, bien réel. Et pourtant, c’est un monde imaginaire.
Inévitablement – mais on ne voulait pas en parler dès le début de l’article – on en vient à évoquer la chouette, présente dans tous les grands tableaux et qui bénéficie d’ailleurs d’un traitement particulier : Elle est représentée en tant que sujet unique sur un tableau qui semble veiller sur toute l’exposition. La chouette : animal mythique, aux vertus aussi bien maléfiques que bonnes. On ne retiendra ici que celles de la sagesse et du savoir. Et puis, il y a dans les compositions de Siro Cugusi des objets dont on a du mal à percer l’énigme : Ils ont la couleur rose de la chair humaine. Sont-ce des vulves, des seins ? On approche de la symbolique « méta »-physique du peintre.
On aura beau citer Jérôme Bosch, Piero della Francesca, la pittura metafisica d’un Giorgo De Chirico, le surréalisme d’un Magritte, on est ici sans l’univers de Siro Cugusi, « où toutes les choses sont grandes, petites, invisibles ». Ses œuvres les plus récentes nous touchent donc particulièrement. Car contrairement au côté spectaculaire et inévitablement attirant, séduisant des œuvres précédentes, trois moyens formats ne représentent « rien », sinon des paysages qui prévoient le monde qui vient. Comme si le peintre rompait avec les beaux exemples esthétiques. Voici un tronc d’arbre creux d’où s’échappe un surgeon maigre, l’océan agité, desseins devenus balises maritimes, le tout non plus dans des tonalités chaudes, mais verdâtres, presque froides.
Siro Cugusi est pourtant bien un « rejeton » de la grande peinture italienne : le tableau n’est pas grand (50 x 40 cm) et il fait penser à un de ces tout petits paysages que l’on voit au fond des grandes compositions de la peinture italienne classique, qu’elles soient d’ailleurs d’église ou civiles. Là où le peintre exprimait, hors sujet de la commande, tout son talent personnel, avec en plus un sfumato techniquement très élaboré, donnant l’impression d’un voile entre ombre et lumière. On peut l’évoquer ici dans le traitement de l’expression du ciel et des nuages qui assombrissent sa clarté.
Mais Siro Cugusi est un peintre contemporain, puisque ce « petit » paysage est le sujet même de son tableau. Roche et terre désertique, cyprès et oliviers qui souffrent. Ciel menaçant… L’histoire continue, en tout cas celle que nous imaginons : un paysage martyre, comme Saint-Sébastien transpercé de ses flèches. Nous sommes à notre époque.