Sculptures à deux

Virginie Descamps et Nicolas Mazzi décloisonnent différentes techniques
Foto: LM
d'Lëtzebuerger Land vom 07.02.2025

Sur toute la surface des murs de la galerie Modulab, de vastes étendues de couleur rose sont réparties capricieusement, sans aucune intention géométrique. Par-dessus, de curieux modules ont été disposés, unis par les aplats de peinture. On doit l’installation au duo Virginie Descamps et Nicolas Mazzi, tous deux formés à la Haute école d’art et de design (HEAD) de Genève. On est loin ici des expositions organisées ces derniers mois par Modulab, pétillante galerie qui s’était illustrée à la Luxembourg Art Week avec les tableaux d’Antoine Desailly représentant des ouvriers sur des chantiers, un sujet quasi invisible dans l’histoire des arts. Aurélie Amiot, directrice artistique du lieu, accueille des sculptures très récentes de Descamps + Mazzi, réalisées pour la plupart à la fin de l’année 2024. Il s’agit de sa seconde collaboration avec le couple d’artistes installés dans le Grand Est en 2021 et actifs depuis 2017, après l’installation participative La Contrepartie conçue l’année dernière, où le public était invité à s’emparer du mobilier et de gabarits mis à sa disposition.

Moins revendicatives, moins grandes gueules que les toiles néo-punk d’Olivier Garraud et Jean-Xavier Renaud qui étaient exposées précédemment à Modulab, les œuvres de Descamps et Mazzi relèvent davantage d’une approche ludique et poétique de la réalité. Nulle parole « coup de poing », nul mot tout court employé chez les deux complices, où règne plutôt le silence des objets et l’extravagance de leurs combinaisons créatrices. Tout passe ici au travers de jeux de couleur, de lignes et de matériaux composites, mais aussi de circulation entre les arts et l’artisanat en vue d’un décloisonnement général des pratiques et des espaces. En tête-à-tête, titre donné à la manifestation, dit à la fois l’intimité d’un couple d’artistes et la dimension introspective de leur parcours en commun, qui se traduit par un retour à leurs formations initiales respectives. Céramique et polymères pour Virginie Descamps, qui a évolué dans l’atelier de confection de stores familial ; ébénisterie et prototypage pour Nicolas Mazzi, à quoi s’ajoutent des études en design. Parfois les rôles s’inversent, même si le dessin reste la matrice originelle de leur démarche : « On travaille sur les deux techniques (céramique et ébénisterie), mais les idées émergent ensemble et s’enrichissent dans un continuel va-et-vient. On dessine dans l’espace avec nos sculptures. On a des répertoires de formes, dans lequel on puise pour créer des supports pour les sculptures, quand ce ne sont pas les formes de ces supports qui deviennent des images », précise Nicolas Mazzi. Prédomine ainsi l’idée de traduction, de l’intime vers le public, de la page vers les cimaises, mais aussi de convertibilité d’une forme plane en volume, et réciproquement, toujours à partir d’un répertoire de formes consignées au quotidien dans leur carnet. « Ce qui nous intéresse, c’est justement de pouvoir jongler entre les deux », complète-t-il.

En pénétrant dans l’espace d’exposition, une grande ligne constituée d’un câble industriel vient scander horizontalement la cimaise et insuffler un rythme musical au lieu. On songe à une partition qui serait, au lieu de notes, ponctuée d’attaches noires réalisées en terre cuite. Celle-ci parcourt des étendues de peinture pour s’acheminer non loin d’un gant, lui aussi en terre cuite. Dissocier les formes des objets des matériaux qui leur sont habituellement assignées est l’un des axes d’investigation de Descamps + Mazzi. Les artistes célèbrent le pouvoir de l’art à transformer les matériaux et à modifier ainsi notre perception sur les objets. Quand ce n’est pas un gant, ce peut être une attache en céramique « pansée », dénommée ainsi pour sa proximité formelle avec un pansement, comme s’il fallait soigner la cimaise perforée de trous. D’autres sculptures manifestent cette prédominance de l’esthétique sur la valeur d’usage, dans la lignée des surréalistes. Ainsi de ce battant de porte qui ne ferme pas, maintenu ouvert, ou de ce cadre qui n’encadre rien en son milieu, exposé pour la beauté de l’objet mêlant céramique et marqueterie de papier. Les objets parlent, mais au travers de leur sourde étrangeté. Pour autant, à côté de ces sculptures qui n’existent que pour elles-mêmes, Virginie Descamps et Nicolas Mazzi ont introduit dans l’exposition des éléments de design. « Les objets montrés dans cette exposition sont des sculptures, mais aussi des objets fonctionnels. C’est d’ailleurs la première fois que l’on assume autant cet aspect d’objet fonctionnel, avec des lampes qui servent vraiment à éclairer, tout en étant aussi des objets sculpturaux », admet Virginie Descamps. Transparaît le désir de décloisonner les registres entre langage formel et langage instrumental, mais également entre les techniques du dessin, de la sculpture et de la peinture. Là où les sculptures baignent souvent dans des variations de gris, les surfaces peintes en rose rehaussent l’ensemble, rassemblent les objets exposés. Le choix de cette couleur est aussi un clin d’œil à l’un des artistes que le couple affectionne, l’Américain Philip Guston, dont les toiles regorgent.

À travers cet usage contemporain de l’artisanat, chaque sculpture vient refléter par leur caractère hybride la vie du couple, assemblage de matériaux et de textures fusionnant qui est préalablement assemblage d’idées, de cœurs, de sensibilités. À noter enfin que l’exposition En tête-à-tête s’accompagne d’une résidence en milieu scolaire portée par Modulab. Chaque semaine, et tout au long du semestre, des ateliers sont menés en direction d’élèves en vue de favoriser les activités manuelles. Une collaboration qui fera l’objet d’une exposition à l’église des Trinitaires de Metz, du 12 mai au 8 juin. Une initiative importante à souligner à l’heure où, en France, certaines régions n’hésitent pas à supprimer les subventions aux artistes.

Loïc Millot
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