Premier défi : comment faire entrer un gigantesque Roger Wagner dans une salle de la taille d’un mouchoir? Le photographe connu pour ses paysages en très grand format, proches de ceux d’Andreas Gursky dans leur objectivité, a dû se plier à la contrainte du lieu : une petite maison mitoyenne d’ouvrier, centenaire et en transition, avec des salles de petites dimensions. Jamais une de ses grandes photos n’aurait pu être montée jusqu’à l’étage. Il montre donc une nouvelle recherche, la série Self Appropriation, soit des images digitales de petit format (31 sur 22,3 centimètres, avec cadre), où il a monté ses propres images dans des contextes d’expositions fictives. Elles ressemblent ainsi à des expositions qui n’ont jamais eu lieu. Ses motifs sont, comme toujours, avant tout la nature (nuages, montagnes...) mais aussi des intérieurs. La série est touchante de par sa modestie, et ce surtout dans le soleil éclatant de début d’automne qui entre vers 18 heures dans la maison.
Cette lumière transfigurait tout le lieu et les photographies exposées le temps d’un week-end, le dernier, rue du Cimetière à Bonnevoie. Roger Wagner était un des sept photographes invités par le nouveau propriétaire de l’immeuble, Gilles Rod, lui-même photographe, pour s’approprier la maison durant quelques jours sous le titre Quick & Dirty. Gilles Rod s’y est fait plus hôte que curateur, et le fait qu’il n’ait pas profité de l’occasion pour faire l’autopromotion de son travail l’honore. Au premier étage, dans une ancienne chambre à coucher, Spike occupe l’espace avec une installation brute documentant son travail graphique sauvage sur la « villa Weimers » – en fait, l’ancienne maison de l’architecte Paul Bretz, au Weimershof, qu’il a décorée à l’intérieur comme à l’extérieur de ces motifs graphiques qui constituent sa signature. Ici, il a accroché une photo de la maison, montre une projection d’images sur un mur et en a décoré un autre de ses graffitis.
Gilles Celli et Raoul Ries sont des visiteurs avertis d’expositions, de ceux qu’on croise partout sans vraiment savoir qu’ils font aussi des photos eux-mêmes. Le premier montre ici sa série Carnivores, des portraits de fans de voitures américaines photographiés frontalement devant l’objet de leur fierté (série publiée par la même occasion en livre par l’éditeur Tom Hermes), et le deuxième une série d’épiceries très colorées au Sénégal (99CFA), qui impressionne par le cadrage et la précision des étalages, où les produits semblent classés par couleurs. Julia Vogelweith expose quelques photos de femmes, un peu décevantes, et Pierre Filiquet a étalé des polaroïds très personnels de ses voyages en France sur une table, belle idée de l’accumulation toute en simplicité. L’entrée de l’exposition se fait par un couloir qui longe l’ancien salon avec cette tapisserie improbable aux grands motifs ornementaux. C’est la salle d’Andrès Lejona, qui a pris le contrepied de tant de bourgeoisie en montrant des photos grand format d’ordures, présentées comme des objets d’art – comme cette casserole métallique complètement aplatie qui trône au centre de la salle.
Deuxième défi : comment faire entrer tous ces gens dans une petite maison ? D’autant plus que seules quinze personnes peuvent visiter les salles aux étages en même temps, pour des raisons de statique. Le vernissage de Quick & Dirty, vendredi dernier, était l’événement à ne pas rater, tout le monde s’y retrouvait, des bobos montant les quelques mètres qui sépare le lieu de la « Bobostuff », leur quartier général, en passant par les amis des artistes et le public professionnel, mais aussi des politiciens proches de Gilles Rod (qui est également conseiller écolo à la Ville de Luxembourg), de la bourgmestre de la capitale Lydie Polfer (DP) à la ministre de la Famille Corinne Cahen (DP). Tout cela se passait dans une ambiance bon enfant et d’émulation. Seule mauvaise nouvelle pour nos lecteurs : l’événement, unique, est terminé.