Pour clôturer sa saison 2012-2013, l’Orchestre philharmonique de Luxembourg a participé, du 12 au 14 juillet, à trois festivals d’été : les Musikfestspiele Saar à la Congresshalle de Sarrebruck, les Robeco Summer Nights au Concertgebouw d’Amsterdam et le Rheingau Musik Festival au Kurhaus de Wiesbaden. Trois concerts qui ont donné l’opportunité à l’ensemble luxembourgeois de démontrer son savoir-faire et surtout de rehausser encore un peu plus sa valeur financière sur la scène internationale. Car si le cachet de la prestation de Sarrebruck a permis de rembourser la plus grande partie des frais grâce à sa proximité avec le Luxembourg, ceux d’Amsterdam et de Wiesbaden n’en ont couvert qu’une partie (un tiers seulement pour le Concertgebouw). Une tournée à l’étranger coûte en effet beaucoup d’argent. Outre le déplacement et l’hébergement d’une bonne centaine de personnes, elle nécessite également une logistique et un encadrement importants. Un semi-remorque transporte de concert en concert tous les lourds instruments ainsi que les caisses à habits des musiciens. Alors, pourquoi une telle débauche d’efforts et d’argent ? Quel impact représente cette tournée pour l’OPL ? Qu’est-ce qui distingue l’Orchestre philharmonique de Luxembourg des autres formations pour que les directeurs de grands festivals en viennent à l’inviter ? Pour en savoir plus, nous avons pénétré au cœur de l’OPL, à l’occasion d’un voyage de presse, et suivi ses déplacements à Amsterdam et Wiesbaden.
La première chose qui surprend quand on observe et écoute les membres de l’OPL, c’est leur extraordinaire diversité culturelle et leur apparente décontraction. « L’absence de complexe de mes musiciens m’a toujours frappé », commente Emmanuel Krivine, le directeur musical depuis 2006. « Tous jouent de leur instrument avec passion et démontrent qu’ils apprécient vraiment la musique. Je sais que cette dernière formule peut surprendre, mais je connais bien des orchestres où les musiciens ressemblent davantage à des fonctionnaires qu’à des artistes. En plus, ici, personne ne semble avoir une quelconque appréhension et n’est tenaillé par la peur de bien faire. D’autres formations auraient peut-être joué de façon plus retenue, craignant la comparaison avec des ensembles plus prestigieux. Cette attitude décomplexée et confiante provient peut-être du fait que l’Orchestre philharmonique de Luxembourg est composé de près de vingt nationalités différentes où les Luxembourgeois ne sont pas majoritaires. Cette multiculturalité a été le ferment d’une ouverture d’esprit que l’on ne retrouve pas nécessairement dans de plus grands pays comme la France ou l’Allemagne. »
Les propos élogieux d’Emmanuel Krivine pour ses musiciens traduisent aussi une grande satisfaction pour tout le travail qu’il a accompli durant ces sept dernières années. Si l’OPL a atteint aujourd’hui un niveau tel qu’il est de plus en plus apprécié à l’étranger, il n’en a pas toujours été ainsi. Après le décès inopiné de son chef d’orchestre israélien David Shallon suite à une crise d’asthme aigüe au Japon en 2000, la formation a connu une période de flou artistique qui n’a vraiment pris fin qu’avec l’arrivée d’Emmanuel Krivine en 2006. Le Français, réputé pour son sens du détail, a su redonner du souffle et surtout un son à un ensemble en perte de vitesse et a pu ouvrir certaines portes comme celle de la prestigieuse Salle Pleyel à Paris. Ne restait plus que le récurrent problème financier finalement résolu en 2012 grâce à la fusion avec la Philharmonie de Luxembourg. Même si celle-ci a été violemment critiquée de part et d’autre, cette fusion aura eu au moins le mérite d’apporter une stabilité supplémentaire et surtout un réel statut à un ensemble appelé à connaître encore d’importants changements dans les mois à venir. Matthias Naske a annoncé depuis longtemps son départ de la direction de la Philharmonie en septembre 2013 et l’actuel directeur musical terminera son contrat en 2015.
Cela dit, l’OPL ne sera vraisemblablement pas ébranlé par ces deux départs ni par quoi que ce soit d’autre d’ailleurs, tant cette mini-tournée a démontré à quel point la machine est à présent bien huilée. À peine arrivés sur le tarmac de l’aéroport d’Amsterdam, les musiciens sont transportés dare-dare au Concertgebouw où les attendent les caisses transportées la veille en semi-remorque. Une heure plus tard, ils sont sur la scène pour le raccord avant le concert proprement dit. Emmanuel Krivine monte sur le podium avec toujours le même pull sur les épaules en guise de relique, salue brièvement, ajuste les positions de l’un ou de l’autre, répète certains mouvements, s’interrompt pour réclamer un meilleur réglage de la lumière, reprend et s’interrompt à nouveau pour demander que ce problème de lumière soit réglé au plus vite. Puis la soliste Isabelle Faust fait son apparition. La violoniste allemande fait très vite étalage de son caractère bien trempé et la discussion entre la musicienne et le chef d’orchestre, tout en restant courtoise, s’anime autour des partitions. Les échanges se concluent finalement, le raccord aussi et chacun part se changer. Les coulisses sont bien vite envahies par un brouhaha indescriptible mais ce désordre n’est qu’apparent car, soixante minutes plus tard, tous les musiciens sont à leur place quand débute le concert.
Les Variations sur un thème de Haydn de Johannes Brahms inaugurent la première partie, suivies par le Concerto en mi mineur pour violon et orchestre opus 64 de Félix Mendelssohn avec la soliste Isabelle Faust. La violoniste séduit l’audience par sa maestria et, dès la fin de sa prestation, le public se lève, enthousiaste, et applaudit à tout rompre. L’orchestre, lui, aura l’occasion de donner toute la mesure de son talent dans la seconde partie avec les Tableaux d’une exposition, une série de dix pièces de Modeste Moussorgski orchestrée par Maurice Ravel. Le son, à la fois fluide, puissant et léger, résonne dans l’édifice à l’acoustique et l’esthétique superbes. Il est difficile d’en dire plus, tant le risque est grand de tomber dans les superlatifs pompeux et à l’emporte-pièce. Le public hollandais, lui, ne se pose pas de questions. Pour lui, tout est simplement parfait. Les standing ovations se succèdent et les 1 100 personnes présentes ce soir-là quittent le Concertgebouw, l’air visiblement ravi.
Tout le monde est satisfait, mais il faut déjà penser à Wiesbaden. Le temps de se déshabiller et de rentrer à l’hôtel et minuit n’est pas loin. Le lendemain, dès dix heures du matin, les quatre bus de l’OPL quittent Amsterdam. Six heures plus tard, le même scénario se répète dans la ville thermale allemande si ce n’est une pause à l’hôtel avant le raccord. « Ce n’est pas plus mal, confie un musicien. Cela permet à certains d’entre nous de souffler et à d’autres de s’exercer seul dans leur chambre, au risque de déplaire à leurs voisins qui ne sont pas nécessairement des mélomanes avertis. » (Rires). Puis tout s’enchaîne rapidement : le raccord, le positionnement de chacun sur une scène beaucoup plus étroite et à l’acoustique sensiblement différente, les discussions entre la soliste et le chef d’orchestre et le concert. Comme à Sarrebruck, la seconde partie est consacrée à l’interprétation de Ein Heldenleben (Une vie de héros), le poème symphonique de Richard Strauss. « Nous avons dû modifier notre programme à Amsterdam parce que d’autres formations dans d’autres séries avaient déjà prévu d’interpréter cette œuvre », explique Geoffroy Guirao, Head of orchestra operations. Le public, presque aussi nombreux que celui d’Amsterdam, est content et le fait savoir... à sa façon : bien assis sur sa chaise, sans sifflements et autres hourras intempestifs.
« Le fait que nos concerts soient appréciés dans des festivals aussi ciblés que ceux-ci revêt une grande importance pour nous parce qu’ils augmentent notre valeur marchande auprès des organisateurs », précise Geoffroy Guirao. « Cela signifie que nous serons réinvités pour la prochaine saison avec une meilleure exposition et un meilleur cachet. Ainsi, à Sarrebruck, l’enthousiasme du public a été tel que le directeur du festival est tout de suite venu nous trouver pour nous proposer de revenir dans deux ans – les Musikfestspiele Saar ont lieu tous les deux ans – avec de meilleures conditions et, peut-être, des concerts supplémentaires dans le cadre d’autres manifestations. Pour nous, c’est la meilleure des reconnaissances. »