Philippe Schartz et les SEL

Toute trompette dehors

d'Lëtzebuerger Land vom 02.12.2011

En 1994, nous écrivions dans ces colonnes, à propos de la prestation de Philippe Schartz dans le Concerto de Hummel, que ce « jeune et talentueux trompettiste de chez nous a l’étoffe d’un grand ». 17 ans plus tard, nul doute, l’homme est passé maître dans son art. C’est, en effet, avec une maestria confondante qu’il nous tient sous le charme dans sa dernière gravure en tant que soliste pour le compte du prestigieux label Chandos.

Si, après avoir occupé une place de choix dans la musique des âges baroque et classique, l’instrument du Jugement Dernier et de la Renommée a connu une éclipse à l’époque romantique, le XXe siècle lui a conféré de nouvelles lettres de noblesse. Aussi l’un des mérites du présent album est-il de faire revivre ces riches heures contemporaines. De Jolivet à Wiltgen, en passant par Copland, Hindemith et Arutiunian, la trompette de Philippe Schartz fait étinceler ses harmoniques pour relever de son éclat l’étoffe soyeuse que les cordes des Solistes européens Luxembourg, drivés par un Christoph König aux petits soins, déroulent sous ses pas, et ce, sans jamais sacrifier au souci trop trivialement affiché de plaire.

Le Concertino d’André Jolivet, l’un des compositeurs français les plus originaux du siècle dernier (le sait-on assez ?), fait dialoguer cordes, trompette et piano (Chris Williams) en un jeu de miroirs complices. D’entrée, on est conquis par la vivacité bondissante avec laquelle Solistes et solistes abordent l’Allegro liminaire. Mais c’est dans l’étourdissant Accelerando final, pétillant comme du champagne de grand millésime, que l’interprétation atteint son point culminant. Entre cette page pimpante, enchaînant rebonds goguenards et pirouettes acrobatiques, et le calme de la ville la nuit, la sérénité, l’introspection nostalgique, la douce rêverie qu’évoque Quiet City pour cordes, trompette et basson d’Aaron Copland, le contraste est saisissant. On s’incline devant l’élégance subtile du jeu, l’aptitude, aussi bien individuelle que collective, à faire chanter chaque phrase avec vigueur mais également avec raffinement.

Le Concerto de Paul Hindemith offre à la trompette et au basson (Karen Geoghegan) la possibilité de rivaliser à la faveur d’une émulation transcendante, mais dans les limites d’une virtuosité qui, loin d’être gratuite, est toujours au service d’une musicalité authentique faite d’harmonies insolites. Petit maître ou grand compositeur ? Difficile de trancher en ce qui concerne Alexander Arutiunian. Toujours est-il que l’adorable Élégie du compositeur arménien est digne de sortir de l’ombre. Loin de faire, au sein de ce recueil, figure de « pièce rapportée », c’est une cantilène gracieuse d’une veine mélodique heureuse. De quoi apporter la preuve, si besoin était, que la trompette n’est pas confinée au registre des sonorités cristallines. Les intonations sont d’un velouté admirable, les timbres d’une rondeur sensuelle. Quant au commentaire des SEL, il marie l’eau et le feu, la transparence et la densité des cordes, les demi-teintes savoureuses et les inflexions impétueuses.

Enfin – cerise sur le gâteau : le Concerto pour trompette et cordes « Après la nuit… » de Roland Wiltgen. La pièce (dont nous avons chroniqué ici-même la création mondiale le 24 juin dernier dans le cadre du Festival d’Echternach) soutient aisément la comparaison avec les pièces précédentes. Avec une maestria qui vise moins à dominer l’ensemble qu’à s’y fondre subtilement, Schartz y déploie des trésors de virtuosité, épaulé par des SEL au-dessus de tout reproche. Du cousu main servi par des solistes cousus d’or – qui plus est – menés par un chef en or dont on ne louera jamais assez la térébrante intelligence musicale, les choix audacieux, la baguette stimulante.

Enregistrement réalisé les 21-23 juin 2011 au Trifolion d’Echternach par Maurice Barnich. Minutage : 61’07. Excellente prise de son et non moins excellente notice anglais-allemand-français signée Anthony Burton et Philippe Schartz. Réf. : CHAN10700. Le disque sera mis en vente à l’occasion du concert que les SEL donneront à la Philharmonie, le 12 décembre prochain.

José Voss
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