À une époque friande d’inconnu et d’insolite, où tant d’organistes – et non des moindres –, que ce soit en récital ou au disque, ont tendance à délaisser les grands classiques, en sacrifiant à la mode des programmations éclectiques (dont l’hétérogénéité – soit dit entre parenthèses – a pour corollaire fâcheux la dispersion extrême des œuvres et des esthétiques), Maurice Clement remet, une bonne fois pour toutes, les pendules à l’heure, en gravant un splendide florilège de pages chef-d’œuvrales des trois grands B de l’orgue : Buxtehude, Böhm et Bach. C’est ce qui s’appelle un retour aux sources.
L’organiste de chez nous a visiblement voulu se faire plaisir, avec un programme dicté par le cœur plus que par la raison, brassant, avec une gourmandise patente, tout ce que l’orgue peut offrir : partita, passacaille, choral, toccata, trio, largo, prélude et fugue. Aussi est-ce un sentiment rare de radieuse plénitude que l’on éprouve à l’écoute de cet album, tant s’impose la maturité musicale, stylistique et instrumentale de l’ancien élève de Jean Ferrard à Bruxelles et lauréat du Concours international Gottfried Silbermann. S’y ajoutent chaleur et ferveur, esprit et spiritualité, clarté et simplicité du propos, transitions habilement ménagées, nullement incompatibles avec les impératifs de maîtrise du texte et de sa charge émotionnelle : autant d’atouts qui, d’emblée, coupent court à toute velléité critique. Remarquablement architecturées, peaufinées avec un soin d’orfèvre, qui plus est profondément habitées, les lectures de l’organiste-titulaire des Grandes orgues de la Philharmonie de Luxembourg sont un modèle d’intelligence interprétative et de justesse stylistique.
D’entrée de jeu (Prélude BWV 545/1), le charme opère, à force de verve créatrice d’énergie incisive mais jamais hâtive, même dans les pièces plus méditatives comme le Largo BWV 529/2 ou le poignant choral Liebster Jesu, wir sind hier BWV 730. Tempos modérés, mais jamais traînants comme dans l’extraordinaire Passacaille BuxWV 161 de Dietrich Buxtehude (dont l’interprétation inspire d’autant plus de respect que la compacité extrême de la pièce, son éloquence exceptionnelle et son insigne dimension spirituelle ont de quoi intimider), et toujours une retenue, une pondération et une modération de ton qui reflètent la longue maturation de ces pages, avec, aussi, quand la partition l’exige, un panache virtuose comme dans la (trop) fameuse Toccata et Fugue BWV 565. Subtiles libertés agogiques pour mieux propulser le rythme comme dans les Trios BWV 583 et 1027/1, registrations inventives, poésie du chant, décantée mais vivante, comme dans le choral, superbement orné et sublime d’expressivité, Vater unser im Himmelreich de Georg Böhm. Doigts virevoltants et noblesse de la déclamation comme dans le Prélude BuxWV 139.
Enfin, que dire de l’instrument sinon qu’il régale ? De facture contemporaine (issu qu’il est de la manufacture luxembourgeoise des Westenfelder), l’orgue de l’église paroissiale de Bourglinster, s’il se refuse à une imitation servile des instruments historiques, n’en concilie pas moins la tradition avec les exigences techniques modernes. Avec cet orgue, Clement montre que, dans le choix de son « métier », il ne s’encombre pas de considérations historiques ou géographiques, mais, tout bonnement, parce qu’il s’agit de l’un des meilleurs instruments de notre pays. Et puis, comme dit le poète, finalement « qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ». Et l’ivresse, on l’a, tant l’esprit souffle ici. Un souffle qui anime chaque note, quand l’interprète – comme c’est le cas ici – touche à l’essentiel, en cherchant, de son propre aveu, à « allier la forme et la matière musicale, l’esprit et la sensibilité, la pensée et la passion » (notice), quand il porte au Ciel, avec une inébranlable confiance en son art, qui n’est pas « un art standardisé, mais une manifestation élémentaire de la vie humaine » (ibid.), des pages qui comptent parmi les plus belles jamais écrites pour l’orgue.
Voilà bel et bien un récital enchanteur, capté sur un CD qui est une petite merveille. Un petit bijou, à se procurer au plus vite. Avis aux férus de musique d’orgue …et de musique tout court.