De même que l’organisation WikiLeaks et les médias qui s’étaient associés à elle avaient étalé dans le temps les révélations sur les embarrassants câbles diplomatiques américains, les informations rassemblées par Edward Snowden sont distillées peu à peu – le Guardian ayant pris le soin de préciser que ce n’est pas le lanceur d’alerte originaire de Caroline du Nord qui en détermine la cadence, mais les médias dépositaires de ses informations. Chacune des prochaines semaines va apporter son lot de nouveaux détails sur l’ampleur des écoutes illégales organisées par la NSA.
L’indignation a gagné le Brésil et a amené la présidente Dilma Rousseff a protester contre les écoutes américaines, après que le journal brésilien O Globo eut levé le voile ces derniers jours sur un programme appelé Fairview qui permet à la NSA d’écouter les conversations téléphoniques et de lire les emails des Brésiliens, sans aucun contrôle judiciaire. Certes, les informations évoquées par O Globo sont incomplètes, puisqu’elles font état d’une coopération entre des opérateurs de téléphonie au Brésil et un opérateur de télécommunications américain, non identifiés, entre lesquels s’effectuerait, au-delà du programme Prism, des échanges de données à grande échelle. Les moyens techniques utilisés pour permettre cet échange ne sont pas non plus décrits. Le quotidien affirme néanmoins : « Ce qui est certain, c’est que la NSA utilise le programme Fairview pour avoir accès directement au système brésilien de télécommunications », citant le chiffre de 2,3 milliards d’appels et de messages de Brésiliens espionnés par la NSA au mois de janvier 2013 seulement – à peine moins que ceux épiés aux États-Unis.
Les Brésiliens ont gardé de l’époque de la dictature un souvenir exécrable des écoutes. Appelées « grampos », en référence au dispositif rudimentaire, de type clips, utilisé massivement à l’époque par les services de police pour intercepter les conversations téléphoniques des citoyens, elles sont immédiatement associées au régime honni des généraux. Malgré le manque de détails de l’article de O Globo, Dilma Rousseff a annoncé que son pays refusait ce type d’interférence et allait se plaindre à la Commission des droits de l’homme des Nations Unies. Ces actes d’espionnage enfreignent la souveraineté du Brésil et violent le droit à la liberté d’expression, a-t-elle fait valoir. Le Brésil a demandé des explications à l’ambassade des États-Unis à Brasilia et a demandé à sa mission dans la capitale américaine d’intervenir, a-t-elle dit. Tout en recommandant la prudence dans ce dossier, Dilma Rousseff a assuré que son pays allait enquêter de manière détaillée sur ces accusations.
Par ailleurs, le Washington Post a indiqué que certains de ces programmes de surveillance à grande échelle avaient pu être mis en place grâce à des accords entre réseaux de télécommunications étatsuniens et réseaux étrangers lors de la vente de systèmes de câbles de fibre optiques sous-marins, en obligeant les acheteurs à ménager un accès aux communications qui transitent par leur biais. Officiellement, cette disposition est destinée à protéger les réseaux américains contre les actes d’espionnage étrangers. Elle n’autorise en aucun cas la surveillance, et certainement pas la surveillance systématique. Comment a-t-on, dans ces conditions, dérivé vers ces pratiques attentatoires à la liberté ? L’occasion fait le larron, c’est bien connu. Pour honorer leurs engagements, les acheteurs de ces systèmes de fibre optique ont mis en place les systèmes requis pour pouvoir satisfaire d’éventuelles demandes de renseignement émanant des autorités américaines. Ensuite, révèle pour sa part le New York Times, ce sont des décisions prises au cas par cas par le tribunal créé par la loi Fisa (Foreign Intelligence Surveillance Act) qui détricotent progressivement la protection de leur sphère privée dont devraient pouvoir bénéficier les utilisateurs des réseaux de télécommunications, au nom de la lutte contre le terrorisme dans un premier temps, mais aussi de celles contre « la prolifération nucléaire, l’espionnage et les cyber-attaques ». Ce tribunal, décrit comme une sorte de « Cour suprême secrète », donne ainsi toutes sortes de blancs-seings à la NSA : la boucle est bouclée.
Jean Lasar
Catégories: Chronique Internet
Édition: 05.07.2013