Les révélations d’Edward Snowden sur le programme d’espionnage des citoyens n’en finissent pas de provoquer leur onde de choc des deux côtés de l’Atlantique. À Washington, un amiral tout chamarré, Keith B. Alexander, patron de la National Security Agency, a essayé de rassurer les sénateurs lors d’un hearing : il n’a pas vraiment réussi à les convaincre de la bonne foi de son agence. Il a essayé d’expliquer comment Edward Snowden, analyste relativement néophyte (quinze mois de service auprès de la NSA, a-t-il précisé), avait pu accéder au jugement secret qui contraignait Verizon à livrer à la NSA des millions de relevés téléphoniques. Il a agi lors d’une formation. Les données téléphoniques recueillis par la NSA sont détruites au bout de cinq ans, a-t-il indiqué. Les pratiques dénoncées par Snowden ont permis de déjouer 50 projets d’attaques terroristes, a fait valoir l’amiral, ajoutant que le rôle des données recueillies par ce biais ont eu un rôle critique à cet égard dans la moitié de ces cas.
Cependant, le voile commence à se lever sur le fait que les services secrets des pays occidentaux se sont mutuellement entraidés à circonvenir l’interdiction qui leur est faite d’espionner leurs propres citoyens. La belle coopération internationale ! Mais ce faisant, ils en ont profité pour s’intéresser de près aux communications de leurs propres citoyens. Selon le magazine Der Spiegel, le Bundesnachrichtendienst allemand s’autorise à examiner environ cinq pour cent du trafic qui passe par le nœud de communications de Francfort connu sous le nom de
IXP : il s’agit du « hub » le plus important d’Europe. Se fondant sur une liste de mots-clé (cette liste en comptait 16 000 en 2011), ils ont intercepté et analysé 900 000 courriels en 2012. En théorie, toute communication n’impliquant que des Allemands doit être écartée de cet examen. Mais il apparaît qu’en pratique, les services de renseignements des grands pays occidentaux s’échangent opportunément ces données.
Ces derniers jours, le degré de cynisme des services de renseignement britann-iques a été mis en évidence par le Guardian au sujet de l’espionnage éhonté des communications personnelles des délégués gouvernementaux participant au Royaume-Uni à une réunion du G20 en 2009. Dans ce cas, il s’agissait d’aider le Premier ministre de l’époque, Gordon Brown, à faire de ce sommet un succès en anticipant les positions des gouvernements participants. Ces révélations mettent les services de renseignement des pays occidentaux en mauvaise posture, car en l’occurrence, il n’était donc nullement question de prévention du terrorisme, mais uniquement de kriegspiel diplomatique à la petite semaine.
L’énorme volume du trafic Internet et des communications téléphoniques et l’urgence que revêt dans bien des cas la lutte anti-terroriste force les services de renseignement à être de plus en plus intrusifs. Dans un tel contexte, le fait que des internautes commentent sur Facebook ou lors de conversations sur Skype des actes terroristes en fait des cibles naturelles d’interceptions, ce qui suggère que les analystes disposent d’outils leur permettant d’agréger rapidement toutes les informations personnelles pour déterminer si ces internautes justifient une surveillance suivie. On imagine les services se livrant dans ce cas à des échanges de bons procédés et à de savantes contorsions avec leurs homologues d’autres pays pour parvenir à donner à leurs échanges un semblant de légalité. Mais peut-être la simple possibilité que ces informations aient pu leur parvenir par ce biais suffit-il à leur fournir le vernis de légalité qu’ils recherchent.
Au fur et à mesure que l’ampleur de ce « data mining » gouvernemental apparaît, il devient de plus en plus clair que se contenter de peser sur les législations nationales dans la lutte citoyenne pour le droit à la sphère privée est insuffisant. Pour se protéger efficacement des abus mis à jour depuis les premières révélations d’Edward Snowden, les cybercitoyens doivent reconnaître le caractère global de leur lutte et se fédérer au-delà des frontières.