Un procès en cours en Floride a mis en lumière une remarquable « combinazione » faisant intervenir la production de films pornographiques, leur mise en ligne sur les réseaux de peer to peer et des poursuites en justice en masse contre des internautes accusés de piratage – le tout dans le chef de la partie requérante. Le site Ars Technica raconte cette semaine comment un avocat défendant des internautes accusés par la société Prenda Law de pirater des films dont elle représente les intérêts a réussi à éclairer son fonctionnement. En particulier, il a réussi à circonscrire le rôle de l’avocat de Prenda Law, John Steele, dans ce montage à la fois diabolique et lamentable, en fournissant au tribunal la preuve que c’est cet avocat qui a lui-même publié sur The Pirate Bay, le plus grand réseau de peer to peer du Net, le film pornographique dont le piratage fait l’objet de poursuites contre un internaute.
Dans cette affaire, cet internaute, Paul Oppold, est accusé par Prenda Law d’avoir téléchargé illégalement un film produit par First Time Videos. Graham Syfert, l’avocat qui défend Oppold, a pu montrer que l’avocat John Steele est très probablement l’utilisateur sharkmp4 qui a mis en ligne sur The Pirate Bay le film en question, grâce notamment à une analyse de la résolution du film litigieux et des dates des différentes péripéties de l’affaire. Syfert s’est fait aider par un doctorant de l’université de l’Oregon pour étudier les méthodes de l’entreprise « 6881 Forensics » qui a elle-même été engagée par Prenda Law pour identifier les utilisateurs des réseaux p2p qu’elle va poursuivre.
Ce doctorant, Delvan Neville, estime que les pratiques de Prenda Law relèvent quasiment de l’extorsion. Prenda Law fait partie de ces cabinets d’avocats plus ou moins marrons qui essaient de toucher le gros lot en intimidant des internautes qu’ils traînent devant les tribunaux, avec pour preuve une adresse IP relevée sur un réseau d’échange de fichiers avec une date marquant le téléchargement litigieux. Que les films soient de nature pornographique dans ces tentatives d’escroquerie est sans doute destiné à paralyser l’internaute accusé, en le dissuadant de se défendre de manière trop voyante dans une affaire qui associerait son nom à des produits « honteux ».
Heureusement, certaines des victimes de Prenda n’ont pas eu peur de la honte censée les assaillir et se sont renseignés, notamment auprès de l’animatrice d’un site web, Fight Copyright Trolls, qui tente de fédérer les victimes de ces tentatives d’extorsion. Dans cette affaire, le spécialiste engagé par son avocat pour enquêter sur le téléchargement litigieux a pu prouver, en scrutant les « essaims », comme on appelle dans l’univers des bittorrents les groupe de téléchargeurs, que c’est une seule et même entreprise, 6881 Forensics, qui fournit à Prenda Law les données sur les infractions poursuivies et qui publie sur les réseaux d’échange les fichiers dont le téléchargement est censé avoir lésé le requérant. Pour ce faire, il a montré que certains de ces fichiers n’étaient pas encore commercialisés au moment où 6881 Forensics les mettait en partage.
Le modèle d’affaires de Prenda Law, résumé par l’avocat Syfert, consiste donc à être à la fois « pirate enfreignant le droit d’auteur, chasseur de preuves de piratage, et avocat ». Sa chaîne complète de « création de valeur » comprend donc, dans l’ordre, la production de films pornographiques, la détention de droits d’auteur, le piratage pornographique, la recherche de preuves et les fonctions d’avocat-conseil et d’encaisseur de dettes, avance Syfert. Perfidement, il fait remarquer que le seul rôle qui manque, pour ces escrocs imaginatifs, est celui d’apparaître eux-mêmes dans les films en question. En tout cas, après cette enquête, le modèle d’affaires de ce cabinet semble quelque peu compromis…