Lorsqu’un article relatif aux applications de chat, sujet habituellement confiné aux pages de technologie des quotidiens ou aux magazines spécialisés, se retrouve à la une du Financial Times, comme ce lundi, cela signifie que des chiffres d’affaires considérables sont en jeu.
En l’occurrence, ce sont les revenus tirés des textos envoyés depuis les télé-phones portables, mas de cocagne en apparence inépuisable des opérateurs de téléphonie depuis plus d’une décennie, qui sont menacés. Le FT cite une étude d’un bureau d’études spécialisé, Informa, selon laquelle ces applications de chat, WhatsApp, Viber, Kik, Messenger de Blackberry et iMessage d’Apple, connaissent des taux de croissance impressionnants. Au point de mettre à mal la poule aux œufs d’or que sont les SMS pour les opérateurs. Même Facebook risquerait de laisser des plumes face à l’essor de ces outils émergents, font valoir les analystes cités par le Financial Times. Toutefois, précise le journal, tant les opérateurs que les réseaux sociaux ont maintenant saisi la nature de la menace et se mobilisent pour préserver leur présence. Facebook a ainsi récemmment lancé son application Chat Heads et un système d’appel vocal.
Lorsque les SMS sont devenus un phénomène de société, les opérateurs ont accompagné le mouvement en modulant la tarification d’une part et en cherchant à générer des revenus additionnels grâce aux contenus multimédia (MMS et assimilés). Aujourd’hui, une application comme WhatsApp, dite « cross-plateform », propose un service de textos, qui peuvent être accompagnés de photos ou de vidéos, gratuitement pour un an, puis aux prix de 89 cents par an. WhatsApp, lancé en 2009, voyait passer dix milliards de messages par jour sur sa plateforme à l’été 2012 et revendique aujourd’hui quelque 200 millions d’utilisateurs. En janvier dernier, le Financial Times estimait que l’application « a fait aux SMS sur téléphones portables ce que Skype a fait aux appels internationaux sur les lignes fixes ». Ainsi, en Espagne, le chiffre d’affaires des textos est passé de 1,1 milliard d’euros en 2007 à 758,5 millions d’euros en 2011, le nombre d’unités envoyées passant de 9,5 milliards à 7,4 milliards entre ces mêmes deux années. Il y a donc de quoi s’inquiéter. Le CEO de Kik, Ted Livingston, cité par le FT, a enfoncé le clou, déclarant : « Je pense que l’élimination des messages SMS va être inévitable lorsque les gens passeront aux tarifications données (mobiles) ». Kik compte 50 millions d’utilisateurs.
Le quotidien des affaires reproche aux opérateurs de télécommunications d’avoir tardé à réagir. Au premier trimestre 2013, pour la première fois, les ventes mondiales de téléphones portables ont compris davantage de smartphones que de téléphones basiques. La base captive de la clientèle SMS des opérateurs, condamnée aux textos faute de pouvoir se connecter sur Internet depuis son téléphone, a donc tendance désormais à se rétrécir, menaçant d’autant plus les revenus tirés des textos. La baisse des quantités de SMS échangés s’accompagne d’un pouvoir réduit de fixation des prix pour ce service. Bref, les opérateurs sont coincés, cernés de toutes parts. Ils ne leur reste plus qu’à accompagner le mouvement, soit en se rapprochant des applications de chat qui les défient, soit en proposant leurs propres solutions bon marché de messagerie – au risque de hâter encore davantage la disparition des SMS.
Seul planche de salut pour les opérateurs, estiment les analystes interrogés par le FT, le déploiement généralisé des réseaux de quatrième génération, contrôlés par les opérateurs et vecteurs potentiels de services de messagerie et autres à valeur ajoutée pour lesquels ils pourraient à nouveau facturer le prix fort.