L’acquisition par Google de l’éditeur du logiciel Waze, un service de navigation routière dont le succès repose sur le « crowdsourcing » – ce sont ses quelques 50 millions d’utilisateurs qui l’alimentent en informations de trafic en temps réel – sera examinée par la Federal Trade Commission (FTC), une des autorités américaines de la concurrence. Google a confirmé l’existence de cette enquête, qui fait suite à des plaintes d’associations de consommateurs inquiètes de la domination de Google sur le marché de la cartographie en ligne.
L’acquisition de la start-up israélienne s’est faite au prix de 1,3 milliard de dollars. Un prix très conséquent pour une entreprise qui emploie 80 personnes (70 à Ra’anana, près de Tel Aviv, et dix à Palo Alto en Californie) et dont le bilan est essentiellement peuplé, pour l’heure, des quelques 55 millions de dollars levés auprès d’investisseurs spécialisés dans la haute technologie.
À terme, l’intention de ses dirigeants est de rentabiliser le logiciel-réseau social à l’aide de publicités localisées ; ils entendent aussi passer des accords avec les réseaux de télévision locale pour leur permettre de diffuser les informations routières de Waze sur leurs écrans. Outre les informations routières saisies à la volée par ses utilisateurs (bouchons, ralentissements, travaux, présence de policiers…), Waze optimise les itinéraires proposés et peaufine ses calculs de temps de parcours en s’appuyant sur les renseignements fournis de manière automatique par ses utilisateurs, comme leur vitesse de déplacement sur tel ou tel axe. Les cartes de Waze, qui pour l’instant ne couvrent pratiquement que l’Amérique du Nord et une partie de l’Europe occidentale (plus Israël, l’Afrique du Sud et quelques pays latino-américains) sont alimentées dans les autres pays par les informations fournies par ses utilisateurs. Waze se propose aussi de renseigner en temps réel, grâce là aussi aux données fournies par ses adeptes, les prix des carburants. Ses cartes sont remarquablement bien présentées et leur utilisation sur les écrans tactiles des smartphones des plus aisées. Ce dernier point aura sans doute beaucoup contribué à fidéliser cette vaste et dynamique communauté d’utilisateurs. L’entreprise a indiqué vouloir s’étendre en Asie.
Selon des rumeurs insistantes, Facebook et Apple ont essayé de mettre la main sur Waze au cours des douze derniers mois. Facebook aurait offert un milliard de dollars, et les discussions auraient capoté faute d’entente sur la relocalisation des opérations de Waze.
Pourquoi donc Google a-t-il payé le prix fort pour Waze, alors qu’il est déjà lui-même le leader incontesté, avec Google Maps et Google Earth, de la cartographie en ligne ? Qu’Apple ait cherché à combler son retard manifeste en la matière ne surprendra personne, on comprend également que Facebook puisse vouloir ajouter ce service à son offre pour améliorer son attractivité. Mais dans le cas de Google, dont les cartes offrent déjà des informations de trafic en temps réel (moins pointues il est vrai que celles de Waze), il est tentant d’émettre l’hypothèse qu’il s’agissait d’empêcher qu’un concurrent mette la main sur la plateforme et la communauté créées par Waze et ne vienne menacer l’hégémonie de Google.
Au moment de l’annonce de l’acquisition, Google avait précisé que Waze continuerait de fonctionner sous son nom « pour l’instant ». La FTC pourrait bien changer la donne en imposant de maintenir cette séparation au moins tant que dure son enquête.
Le gardien de la concurrence soupçonne Google de chercher, avec cette acquisition, à réduire le choix offert aux consommateurs. Alors que le géant du Net est déjà dans le collimateur des autorités de la concurrence aux États-Unis et en Europe sur ses comportements potentiellement monopolistiques, notamment dans la pré-sentation des résultats de recherche, cette nouvelle affaire conforte les soupçons que Google tente d’abuser de sa position dominante sur toute une série de marchés. Dans l’immédiat, Google et Waze ont tout intérêt à faire preuve de la plus grande prudence, en attendant de voir si le crowdsourcing est soluble dans les soupçons d’abus de position dominante.