Dépression nationale Après la temporalité dense du referendum, après le retournement du « non » en « oui » et après la séparation désormais évidente du duo Tsipras-Varoufakis qui, à lui seul, cristallisait les espoirs de la majorité du peuple grec, le pays est aujourd’hui épuisé, les visages sont tristes, au mieux, enragés. « Nous avons vécu des moments historiques, nous avons pris une position soi-disant courageuse mais elle n’a rien valu. Et le résultat est que ni les riches, ni les pauvres ne sont satisfaits. C’est la première fois que nous sommes tous dans la même situation : le pays a fait faillite. Pourquoi est-ce que personne ne le dit ? Non, je ne vais pas partir en vacances, oui j’ai un peu d’argent mais je dois le garder : on ne sait pas ce qui peut encore nous arriver. Ceux qui a priori sont les plus ‘intelligents’ de l’Europe – de Merkel à Schäuble en passant par Tsipras, Varoufakis, Hollande, toute la gauche (et prétendue gauche), toute l’Europe avec ses prétendus ‘Européens convaincus’ et même les banquiers – ont réussi à briser une économie et à faire voler en éclats une monnaie forte. Ils sont incapables de trouver une solution, le pire est à venir. Nous sommes abandonnés à notre propre sort », explique Monsieur Vassilis qui est resté travailler dans un chantier dont il ne connaît l’issue, mais qu’il ne quitte pas « faute de ne rien trouver ensuite ».
Tourisme effondré « Nous avons entre quarante et soixante pour cent d’annulations des réservations, essentiellement des clients grecs. Mais pas seulement, il y a également les étrangers qui ont peur de venir et qui préfèrent aller en Turquie et dans les Balkans où – ironie de l’histoire – la situation est plus stable et les prix plus bas. Vous voyez du monde à la plage, certes, mais en raison des contrôles de capital, nous avons perdu tout le mois de juillet », explique Michel propriétaire d’une entreprise moyenne située aux pieds du Mont Olympe (hôtel, beach bar et restaurants). Malheureusement ces pourcentages d’annulation sont valables dans tout le pays. « Les gens préfèrent rester fondre de chaleur en ville à 40°C, ils ont moins de dépenses et, surtout, ils suivent ce qui se passe. Le 18 août prochain vont être votées toutes les mesures demandées par la troïka, comment voulez-vous que les gens viennent se détendre à la plage ? »
Idéaux en banqueroute Avec le moral, chutent également les convictions. Madame Réna, professeure de communication et membre de Synaspismos depuis son adolescence – le parti de gauche-noyau et principale composante de Syriza qui a réuni toutes les minorités afin de fonder en 2002 la coalition électorale qui constitue le parti actuel – a la rage : « Ils se querellent entre eux, se ridiculisent et perdent leur crédibilité comme parti – aussi bien aux yeux de ceux qui ont réellement osé croire à une politique alternative que de leurs ennemis politiques qui se réjouissent. Regardez les chaînes télévisées privées : elles diffusent constamment des documentaires sur Cuba ou le Mozambique, en disant que tel est notre futur. Les gens ont peur. » « J’ai peur parce que je n’ai jamais vu tant de pauvreté dans la rue. Si les gens ont faim ils vont finir par se révolter. Que se passera-t-il alors ? », retoque Madame Haroula, dame élégante, de droite. « J’ai peur car l’Europe n’est pas avec nous, car l’Europe croit que nous ne sommes pas avec elle et surtout parce que la faim guette la Grèce. Quand nous n’aurons plus de pain qui s’occupera alors de la chemise de Varoufakis et de sa dernière interview ? » La semaine dernière, Varoufakis est allé au Parlement habillé avec une chemise aux motifs psychédéliques : toute la presse en a parlé. Le show médiatique – pénible – qui a suivi était digne des jeux romains censés occuper l’esprit des citoyens pendant que les décisions difficiles étaient prises. Réna répond que « tout cela n’est qu’orchestration contre le seul gouvernement qui veut effectivement s’attaquer aux riches, à l’évasion fiscale, à la corruption et au mode de fonctionnement général du pays depuis quarante ans. C’est pour cette raison que, si des élections ont lieu en automne, Tsipras va ressortir gagnant : il a encore les mains propres. Mais vouloir s’attaquer à cette machinerie consiste à dénoncer également les institutions et gouvernements européens qui ont prêté à la Grèce en sachant ce qui s’y passait. Ils ne le laisseront pas faire » – « ‘Mémorandum de gauche’ et ‘mains propres’ ? Nous sommes en plein populisme ! », répond Madame Haroula.
Telle est la situation en Grèce : dégénérescence, dépression et peur. Et, pendant ce temps, les bien de l’État sont bradés, les taxes augmentent, les entreprises ferment et la majorité des Grecs les plus démunis – tout âge confondu – cherchent une manière de quitter le pays, mais pas pour faire des vacances…