Redevenir citoyens Est-ce que le réel compte à rebours a commencé ? Serons-nous arrivés à une solution ultime dimanche prochain ? En Grèce, les deadlines menaçantes et moralement épuisantes sont devenues le quotidien depuis le mois de janvier. Au cours de ces six derniers mois, une chose est certaine : les Grecs, tout bord confondu, ont appris deux choses. D’abord qu’ils sont des citoyens et que tout choix consiste en un positionnement c’est-à-dire que tout acte, même le plus insignifiant, a une potence politique effective ; et, ensuite, qu’après toute fin, il y a la suite.
Tenir bon Tel est le mot-clé en Grèce ces deux dernières semaines. Car avec les banques fermées, tout est bloqué. Le gouvernement a tenté d’alléger la pression en accordant un délai pour les factures d’eau et d’électricité, ainsi que pour ce qui concerne toute dette à l’égard de l’administration (impôts, cotisations sociales, timbres fiscaux, frais de justice, amendes…).
Mais c’est un pays où l’on peut effectuer très peu de transactions par carte bancaire (au supermarché, dans les magasins et dans certains restaurants, surtout les plus chers) ; l’essence, la pharmacie, les médecins, de nombreux loyers, se payent en argent cash. C’est la raison pour laquelle l’on voit ces files interminables devant les ATM. Évidemment, vivre avec 60 euros par jour ne poserait aucun problème à la majorité des Grecs : cela représente 1 800 euros par mois et ils sont nombreux à ne toucher que 800 euros de salaire, encore plus nombreux à n’en toucher que 400. Mais parce que le payement de toute somme considérable demande une organisation certaine, l’ATM est devenu une sorte de pèlerinage quotidien.
Il y a donc des codes et des petits « trucs » à savoir : « La patience est le premier et la politesse le second. Pour la première fois l’on respecte la queue, si quelqu’un est nerveux, on le remet à sa place tout de suite. Je crois, explique Maria devant un distributeur au centre de Thessalonique deux heures avant l’issue du referendum, que la bataille que nous menons a pris le dessus sur le reste. Nous l’avons réalisé en apposant la croix sur le bulletin de vote : nous vivons des moments historiques graves et sommes tous sous pression ».
Environ quarante personnes attendent devant un distributeur dans un quartier relativement pauvre de Thessalonique, juste après l’issue du referendum lundi matin : « Est-ce que quelqu’un a voté ‘oui’ ? », tout le monde rigole : « Le ‘non’ a obtenu 62,5 pour cent, pour trouver ceux qui ont voté ‘oui’ il faut aller dans les quartiers chic. Là tu ne verras pas de queue devant la machine à fric devenue plus importante que Dieu lui-même, répond un monsieur. Les électeurs du ‘oui’ ont honte, où que tu ailles, tu ne trouveras pas facilement quelqu’un qui ose avouer avoir voté ‘oui’ ».
« Ceux qui ont surtout honte, retoque une dame, ce sont les journalistes qui ont menti et qui maintenant doivent montrer leur visage tous les jours à la télévision ».
Propagande et manipulation ratées C’est un événement sans précédent. La presse « main-stream », toutes les chaînes télévisées privées, ainsi que les journaux qui appartiennent aux oligarques grecs ont ouvertement soutenu le « oui », sondages frauduleux à l’appui. Cultiver la peur était le mot d’ordre de ces médias, jusqu’à dimanche dernier, en allumant la télévision l’on voyait des titres tels que « la fin de la Grèce », « l’heure zéro », « on devient Cuba à partir de lundi », etcetera.
« Or, cela n’a pas fonctionné, un peuple qui vivait dans des conditions insoutenables déjà depuis des mois n’a pas eu peur. Ils voulaient nous convaincre que ce que nous vivions chaque jour depuis cinq ans n’est pas réel. Les scénarios catastrophe qu’ils ont trouvé sont dignes d’Hollywood. Mais que croient-ils ? Que nous ne vivons pas dans le même pays ? Que nous ne connaissons pas notre propre histoire ? Nous sommes un peuple qui a de l’humour et de l’endurance, explique madame Maria devant un ATM face à l’Université de Thessalonique. Que croyaient-ils ? Que nous allions plier maintenant ? Cela fait cinq ans qu’on leur fait confiance, qu’on baisse la tête. Maintenant, tout cela est fini. Les médias peuvent dire ce qu’ils veulent et ceux qui ont gouverné le pays pendant quarante ans et nous ont menés là où nous en sommes aujourd’hui également. Quand nous disions ‘non’ nous savions pertinemment à quoi nous disions ‘oui’. C’est ce que doit comprendre notre Premier ministre. Nous savons et nous sommes décidés à tenir ».
Division Le pays est divisé en deux camps disproportionnés, les « oui » et les « non » se considèrent comme ennemis les uns des autres, c’est devenu très intense quelques jours avant et après le referendum. Il y a eu des « oui » confortables, des « oui » apeurés, des « oui » conservateurs et des « oui » des mieux lotis.
Il y a eu aussi un certain nombre de Grecs qui ont considéré que le gouvernement a été lâche de « lancer la balle dans le camp du peuple qui n’est pas présent lors des négociations », mais plus nombreux sont ceux qui respectent « le courage d’un Premier ministre, qui dans de telles conditions a risqué son poste et la manière dont son nom va s’inscrire dans l’histoire. Il sera celui qui a obtenu un vote de confiance après six mois de bataille et avant d’avoir obtenu un résultat, cela veut tout dire de la situation du pays », explique Konstantin.
En effet, il y a surtout eu des « non » : non à une aide qui n’en est pas une parce que, depuis cinq ans, les efforts de la grande majorité de ce peuple n’ont pas porté de fruits. « Non » car il n’y avait pas d’« aide » dans ces mesures. « Non » parce que le pays doit retrouver sa souveraineté et sa crédibilité : « Ce gouvernement n’a pas encore pu mettre en œuvre les mesures promises, car il court à Bruxelles chaque semaine. Il est notre unique chance, si les autres reviennent on tombera dans le cercle vicieux de la corruption et du confort des riches », explique Sissy, jeune dentiste qui ouvre son cabinet en pleine crise.
Pol, jeune entrepreneur qui vit à l’étranger et qui est venu voter « non » s’explique : « Pour moi c’était relativement facile de voter ‘non’ car je ne subirai pas ses conséquences de manière immédiate. J’ai voté ‘non’ car je veux pouvoir profiter de ses effets dans trois à quatre ans et retourner vivre en Grèce, dans un pays où l’économie sera relancée, où l’État sera modernisé et où je pourrais créer une entreprise en sécurité. Comment peuvent-ils dire qu’ils nous aident quand ils bloquent notre industrie pharmaceutique qui est en plein essor, quand ils refusent de taxer les casinos et les jeux de chance et surtout quand ils détruisent le tourisme, le seul secteur qui apporte réellement de l’argent au pays ? ».
Sacrifice stratégique signifiant Varoufakis est devenu le héros national pour un très grand nombre de Grecs, « car il représente le savoir, la connaissance. Même ceux qui n’osaient pas le dire le savent, il connait mieux l’économie que tout l’Eurogroupe réuni, c’est pour cela qu’il les énervait tant. Sa chaise ne l’intéressait pas, il l’a quittée pour le bien national », explique Giorgos, avocat à la cour de Thessalonique. « Sa démission est un signe que les choses vont bien se passer pour le pays, c’est un geste stratégique, un ‘cadeau’ à ceux qui ne le supportaient plus, il faut qu’ils se calment et écoutent les arguments. Tsakalotos était son choix, il est plus calme et discret mais se bat pour les mêmes principes et selon les mêmes calculs économiques ».
Et tout d’un coup l’espoir renaît, paradoxalement, lors du moment le plus difficile à supporter, « cela est également dû au fait que nous sommes déjà, en Europe et pas qu’en Grèce, en train de vivre les conséquences d’un Grexit. Résultat ? Le FMI a enfin admis que la dette doit être restructurée et la France ose enfin prendre position face à l’Allemagne », explique Michalis, architecte devenu bloggeur pendant la crise. En effet, depuis ce referendum controversé, le mot « Europe » est de plus en plus souvent accompagné de mots tels que « solidarité », « accord juste » et « espoir ».