Le langage mobilisé lors des négociations de la Grèce avec les « institutions » rappelle de plus en plus celui qui est utilisé depuis des décennies dans les discussions diplomatiques entre Chypre et la Turquie : « accord honorable », « accord mutuellement bénéfique », « accord réaliste », « solution viable ». Quel que soit l’objectif ultime de ces négociations, les sentiments que suscite le passage de « l’accord honorable » à la « nécessité » de devenir « réaliste » sont les mêmes.
À cela s’ajoute l’illusion que la souveraineté de la Grèce ne peut passer après les intérêts des autres parties impliquées dans cette crise. Illusion que ses droits inaliénables vont finir par prévaloir en vertu de leur potentiel éthique. Proche de cette illusion est l’idée que si la Grèce impliquait des tiers dont la parole est puissante (par exemple la Russie ou la Chine) elle retrouverait ses droits, ou que tout prendrait le bon chemin si l’hyperpuissance américaine adoptait une position philhellène effective. Les résultats d’un sondage récent1 ne sont pas de bon augure : en dépit du gouvernement qui ne cesse de répéter que la place de la Grèce est dans la zone euro, le nombre des Grecs prêts à la quitter a considérablement augmenté en deux mois.
Ici cessent les points communs avec la question de Chypre et commencent les différences. Tout d’abord celle du temps : alors que le problème chypriote dure depuis des décennies, les négociations pour la survie économique de la Grèce se prolongent depuis des mois à travers un déplacement constant – à la fois incompréhensible et menaçant – de la fameuse deadline. Il y a ensuite la différence des réalités : le fondement du problème dans le cas grec est économique et non politique, il est donc impossible de continuer à adopter cette solution intermédiaire de la « non-solution ».
Si dans les négociations, surtout avec l’Union européenne, la Grèce ne venait qu’avec les chiffres qui correspondent à son économie, la solution aurait déjà été trouvée : Grexit inévitable. L’animal de laboratoire qu’est la Grèce deviendrait ainsi obsolète et il serait puni de manière exemplaire afin de faire taire en Europe toute autre contestation possible de l’austérité. Or, le pays reste dans le jeu en raison de la toxicité très probable d’un Grexit – au niveau économique mais pas seulement – et, surtout, en raison de ce dont elle est le nom. Les ruines du passé, le vestige de l’Antiquité, les fondements gréco-romains de l’Europe d’aujourd’hui deviennent ainsi le seul viatique possible pour le futur d’une Grèce dans l’Europe. La Grèce reste également dans le jeu en raison de sa position géopolitique stratégique, tant dans les instables Balkans qu’en Mer méditerranée où aucun des problèmes graves et complexes n’a encore été résolu.
Dans ce contexte, la majorité des Grecs se pose deux questions : les raisons – historiques, symboliques et politiques – qui gardent la Grèce dans ce jeu – économique – sont-elles suffisantes pour qu’elle retrouve ce qu’elle a perdu de sa souveraineté nationale au fil des mémorandums imposant l’austérité ? Et ces raisons sont-elles suffisantes pour qu’une diminution de la dette figure à la première ligne de la première page d’un accord « honorable » et « réaliste » et non pas en note de bas de page d’un « cadeau » ? Ici, l’espoir « Tsipras et Varoufakis » n’est pas encore interdit. À condition qu’il ne soit pas le fruit d’une illusion.