« Aujourd’hui, la mollesse et un luxe fastueux font que les gens riches, au lieu d’employer leur bien à des choses utiles, empruntent sans nécessité pour des choses frivoles. Il est vrai que la pauvreté est sans crédit, et qu’on ne prête qu’à ceux qui ne sont pas dans le besoin et qui ne veulent se procurer par ces emprunts que des choses superflues ; encore exige-t-on d’eux de bonnes cautions. Mais pourquoi faire votre cour à un banquier ou à un marchand ? Empruntez de votre propre buffet. » (828a)
Cet extrait figure dans un court texte de Plutarque (philosophe moraliste grec de la Rome antique, 46-125 après J.-C.), il est titré « Qu’il ne faut pas emprunter à usure » et il fait partie de ses Œuvres morales. Plus loin dans le même texte, en évoquant Solon – considéré comme l’un de ceux qui ont instauré la démocratie à Athènes – Plutarque se demande : « De quoi sert-il aux Athéniens que Solon ait affranchi les débiteurs de la contrainte par corps ? Ne sont-ils pas dans la dépendance de tous les usuriers ? ».
Solon a été élu dirigeant politique (archonte) à Athènes (594-593 avant J.-C.) à une époque où la Cité sombrait dans une crise sociale sans précédent : la ville était dominée par les aristocrates (les eupatrides) qui contrôlaient le gouvernement car ils détenaient les meilleures terres. Les plus pauvres, endettés, tombaient souvent dans l’esclavage – ils perdaient alors, avec leur liberté, leur droit de vote. C’est pour remédier à cette situation dangereuse, à cette réduction du nombre d’hommes libres qui alimentait les conflits et risquait de déboucher sur la tyrannie, que Solon fut élu. Il affranchit alors tous ceux qui étaient tombés en servitude pour dette et abolit l’esclavage par dettes. Concernant les réformes politiques, très sommairement, il attribua l’autorité suprême aux tribunaux dont les membres furent tirés au sort parmi les citoyens mais ne mit pas en place de réforme agraire pour redistribuer les terres. Athènes connut ensuite l’apogée puis la chute que nous connaissons tous.
Détour historique ? On pourrait pourtant croire que Alexis Tsipras essaye d’être Solon et que, sous la pression de leurs banques, les endettés – presque tous les pays de la zone euro –, réduisent Athènes – la plus endettée de tous – à un esclavage du moins symbolique. On pourrait alors se demander : Pourquoi l’Europe – si riche – s’est-elle endettée ? Pourquoi la Grèce – si petite – s’est-elle retrouvée au cœur de ce « théâtre du paradoxe » ? À quoi rime tout ce jeu ?
Telle est la question qui se pose aujourd’hui dans une Grèce fatiguée par les scénarios catastrophes et qui, aveuglée par ses angoisses, est incapable d’évaluer ses richesses, ses ressources et ses erreurs. Mais tout cela ne rime plus à grand chose, car Tsipras n’a pas encore réussi à jouer le rôle de Solon et il n’a plus tout à fait le droit de disposer de son pays puisque les partenaires européens, via le Fonds monétaire international, ont « jeté la balle » dans le camps de la Banque centrale européenne. Plutarque avait donc raison. Et la BCE a tranché en « lâchant la laisse » de deux milliards d’euros de « liquidité exceptionnelle ». On attend de voir quel sera le verdict des négociations le 11 mai. Ce qui est certain, c’est que le cadavre exquis, et donc les répétitions fallacieuses de l’histoire, continueront…