Droits de l’Homme. Le carnet précédent, consacré au procès du parti néo-nazi grec Aube Dorée, terminait par une citation du Parquet qui qualifiait d’illégale toute « menace contre la vie humaine ou l’intégrité physique d’un citoyen ». La livraison présente poursuit avec l’évocation des droits de l’Homme mais à un autre niveau :il s’agit plus précisément d’évoquer les acquis sociaux actuellement mis en péril par l’éventuelle prolongation des « plans de sauvetage de la crise grecque ». Des décisions politiques, signées par les dirigeants européens, peuvent-elles s’avérer non respectueuses des droits de l’Homme, c’est-à-dire illégales ? Et dans ce cas, pourquoi les parlements les adoptent-ils sans grandes contestations ? Les extrémités atteintes par les mesures d’austérité mises en œuvre en Grèce depuis cinq ans peuvent-elles – pour autant qu’elles soient contraires aux fondements humanistes de l’Europe – finir par passer presque inaperçues ?
Banalisation des extrêmes. Cette semaine, le mot « chaos » dénote en effet une réalité regrettable de la Grèce actuelle et peut-être même de l’Europe : la banalisation des chocs. Imaginez être perpétuellement mis face à une deadline inaccessible. Imaginez que, dès que cette deadline a été atteinte – avec ou sans succès, peu importe – vous vous retrouviez immédiatement face à une nouvelle deadline, encore plus inatteignable que la précédente. Très rapidement vous ferez une crise. Car vous vous retrouverez dans une situation impossible à gérer. Et, très rapidement aussi, tout ce qui était vital mais n’entre pas dans le cadre défini par les deadlines deviendra banal, trivial et sans importance, même s’il s’agit de vos droits fondamentaux – tels que l’éducation, la santé publique, un emploi digne, un retraite, etcétéra.
Chaos. Libération titrait ainsi sa « Une » en novembre 2011, au moment où Georgios Papandreou annonça un referendum à propos des mesures d’austérité qu’il devait prendre. Les commentaires dans le journal étaient pour le moins ironiques : « La Grèce ajoute une escale à l’Odyssée de la dette », « Athènes joue l’euro à pile ou face » et ainsi de suite. La question du referendum a été soulevée à nouveau, mais cette fois-ci par Alexis Tsipras lundi soir lors de sa première interview télévisée après les élections. Plus précisément, le Premier ministre grec a annoncé que, dans le cas où il se retrouvait face à un accord qui dépasserait les limites de ses promesses préélectorales, il n’aurait pas d’autre choix que de demander au peuple de trancher par un vote. Mais, a-t-il précisé, pas par des élections étant donné que les sondages donnent actuellement à Syriza quinze pour cent d’avance sur l’opposition. L’interview était directement traduite en anglais et elle a été suivie par la presse européenne qui ne manqua pas de la commenter dès le lendemain.
Show politiciens. Si les dix derniers jours sont apparus comme « forts » pour la politique extérieure grecque (visites à Moscou et à Washington) et pour la politique européenne (Riga) ; ces événements étaient plutôt médiatiques et vides d’essence politique concrète. Comme si nous étions en train de suivre en direct une longue partie de poker. Les joueurs principaux ? Les médias et la haute finance – représentés par quelques personnalités politiques… Personnalités politiques qui quand elles déplaisent sont rapidement mises à l’écart – l’exemple du ministre des Finances grec est très parlant à cet égard.
Alexis Tsipras – orateur talentueux, qui lors de son interview télévisée a réussi à s’adresser simultanément à ses ennemis politiques, à ses partenaires européens, à son parti et à ses électeurs – a laissé entendre que la restructuration actuelle de l’équipe des négociations était d’ordre stratégique et organisationnel. Mais il ne faut pas être un expert pour avoir compris l’opération de « bullying politique et médiatique » qui a eu lieu au niveau européen contre Yanis Varoufakis.
Deux lectures possibles de la situation. Cette « restructuration de l’équipe » est peut-être un bluff de la part du gouvernement grec qui vise à amadouer ses interlocuteurs européens, elle fait peut-être partie de sa stratégie diplomatique. Mais elle est peut-être aussi une manière de signifier que la politique du gouvernement Syriza va lentement et sûrement évoluer en faisant des pas « en arrière ». Les avis ici sont partagés, parce que le Premier ministre grec a également parlé des deux temps pendant lesquels il envisageait l’« heureuse conclusion » des accords avec ses créanciers et l’UE (le 11 mai prochain et ensuite le mois de juin).
Quel que soit le fond de ce changement – stratégie ou instrumentalisation – les réactions des Grecs montrent un peuple épuisé qui est devenu cynique. Car ce que nous vivons, c’est bien la dépolitisation et la commercialisation de la politique au niveau européen. Résultat ? Les positions politiques deviennent des idéologies qui virent aux extrêmes : fascisme ou pas, euro ou pas, Union européenne ou pas… Et ensuite, ses extrêmes se banalisent.