Histoire Depuis la fin des années soixante-dix la Grèce a instauré un dialogue avec le Kremlin au sujet du commerce, des politiques énergétiques et d’investissements divers. Mais les échanges autour de la mer Caspienne sont beaucoup plus anciens. Par exemple : au huitième siècle, un prince slave de Moravie, demanda à Byzance d’envoyer des missionnaires grecs capables d’alphabétiser ses sujets mais en leur langue, ceci dans le dessein de secouer la tutelle du clergé germanique, plus désireux de dominer les Slaves de Moravie que de les éduquer. Les frères Cyrille et Méthode, intellectuels et chrétiens orthodoxes de Thessalonique, parlaient les deux langues. Ils réussirent leur mission et ont créé l’alphabet connu comme « cyrillique ». Ce qui d’ailleurs déplut à l’Église germanique de Bavière.
Quant aux raisons de l’actuelle visite officielle d’Alexis Tsipras en Russie, un petit détour dans l’histoire récente nous apprend que déjà en 1979 – deux ans avant l’adhésion de la Grèce à l’Union européenne – Constantin Caramanlis, fondateur de la Nouvelle Démocratie, a été le premier Premier Ministre grec à visiter ce qui était encore l’Union Soviétique. L’idée de la coopération – notamment énergétique – entre les deux pays remonte donc à cette époque et à l’initiative d’un homme qui politiquement était situé très loin de la gauche. Plus parlantes encore sont les similitudes entre les visites officielles en Russie en décembre 2007 par Costas Caramanlis, alors Premier Ministre grec, et par Alexis Tsipras le 8 avril dernier. En 2007, le voyage avait abouti à la conclusion d’un certain nombre d’accords selon lesquels la Grèce serait l’un des pays de traverse du « South Stream » projet d’oléoduc devant relier le port bulgare de Bourgas à celui d’Alexandroupolis, au nord de la Grèce (il faut savoir que la Grèce est dépendante à 80 pour cent du gaz russe). Cet oléoduc – jamais construit – visait à transporter le pétrole de la mer Caspienne vers l’Europe en contournant les détroits turcs. Les États-Unis avaient alors réagi très fermement contre ce projet. Le Premier Ministre grec avait été mis sur écoute par les services secrets américains et il aurait apparemment aussi été victime d’une tentative de meurtre. Suite à des pressions – provenant de qui ? – la Bulgarie s’est alors soudainement retirée du projet. Le gouvernement Caramanlis perdit les élections en 2009 face au Pasok de George Papandreou – dont le gouvernement clairement pro-américain suspendit les négociations avec la Russie. L’affaire n’avait alors pas trop intéressé les partenaires européens.
Actualité C’est donc dans ce contexte qu’il faut comprendre le voyage de Tsipras et non pas dans une perspective absurde de menace « contre » ses partenaires européens. L’objet de ce voyage était manifestement la recherche d’une coopération plus dynamique, dans le domaine énergétique, des échanges commerciaux et financiers et de la participation éventuelle de la Russie aux privatisations à venir en Grèce. Le gouvernement grec cherche en effet des voies alternatives afin d’attirer des investisseurs et de relancer l’économie du pays. Ce qu’Alexis Tsipras exprime donc dans un tweet depuis Moscou est le droit de son pays à mener « sa politique étrangère, en tant que pays européen, méditerranéen et balkanique » – ce qui est tout à fait conforme à la position géopolitique de la Grèce.
Projet Après l’abandon soudain de « South Stream », Moscou a décidé de construire un autre gazoduc jusqu’à la frontière gréco-turque. Elle a ainsi invité la Grèce à devenir le point d’entrée en Europe de ce gazoduc appelé « Turkish Stream » jusqu’à cette frontière et « Greek Stream » après celle-ci. Ce projet a également été discuté le 7 avril à Budapest entre les ministres des Affaires étrangères des cinq États concernés : la Turquie – qui, suite à l’isolation de la Russie par l’Occident, est en train de devenir l’alliée nécessaire de la Russie –, la Grèce, le FYROM, la Serbie et la Hongrie. Il faut également noter ici l’intérêt manifesté par l’Autriche.
Controverses Ce qui est troublant, ce sont les spéculations suscitées en Europe et ailleurs par la visite officielle d’Alexis Tsipras – alors que ce dernier a rappelé l’importance des accords de Minsk dans son discours. « La Grèce allait-elle se tourner vers Moscou pour obtenir de l’argent que les Européens lui refusent sans de profondes réformes en contrepartie ? » – Non ! Inouï, le président du Parlement européen Martin Schulz, interrogé par le journal allemand Hannoversche Allgemeine Zeitung a demandé à Tsipras de « ne pas mécontenter ses partenaires européens [en risquant de rompre l’unanimité de l’Union européenne vis à vis de la Russie] ». Les réactions du State Department ont par ailleurs confirmé la fragilité des équilibres entre le continent européen et les États-Unis. Tout cela serait probablement plus simple sans la crise ukrainienne et sans la relation d’amour-haine entre l’Allemagne et la Russie.
Réactions des Grecs « Que cherchent donc nos alliés européens et américains ? Veulent-ils vraiment voir la Grèce sortir de la crise ? »