La crise, les négociations pour le remboursement de la dette, l’austérité ainsi que toutes les autres préoccupations de la vie quotidienne des Grecs vont cesser pendant quelques jours grâce au « miracle du Saint Feu » – qui va arriver comme chaque année au même lieu et à la même heure – et symbolisera la résurrection du Christ. En effet, chaque Samedi Saint (cette année le 11 avril), à midi, le Patriarche Orthodoxe de Jérusalem entre dans le Saint Sépulcre, récite des prières spéciales et attend. L’attente peut être longue ou courte, puis la flamme « apparaît ».
Afin que la flamme puisse être distribuée aux fidèles grecs lors de la messe de minuit, est organisé un transport aérien de Jérusalem à Athènes et ensuite dans les autres villes du pays. Ce transport a été pris en charge par un particulier de 1988 jusqu’à l’an 2000. Depuis, c’est l’État grec qui finance cette « nécessité ». Car 95 pour cent des Grecs se déclaraient chrétiens orthodoxes en 2012. Ce chiffre ne prouve peut-être pas la foi profonde du peuple en quelque miracle que ce soit, mais il démontre le rôle de la religion – d’une seule religion – dans le mode de vie du pays. Cela s’explique en partie par des filiations historiques qui remontent à Byzance et ensuite par l’implication de l’Église dans le maintien de la langue grecque pendant les 400 ans d’occupation par l’Empire Ottoman, dans la résistance et l’organisation de la guerre d’indépendance en 1821. Le résultat est toujours d’actualité puisque l’attachement à la religion reste indissociable de l’attachement à l’identité nationale. Donc même ceux qui ne sont pas croyants vont fêter Pâques.
Mais la religion en Grèce ne ressort pas que du domaine du privé. Puisque c’est « au nom de la Trinité sainte, consubstantielle et indivisible, [que] la Cinquième Chambre des députés révisionnelle » a voté en 1975 la Constitution grecque actuellement en vigueur. Et pas seulement. La Constitution hellénique, dans son troisième article qualifie l’Église orthodoxe de « religion dominante » : autrement-dit, c’est une religion d’État. Même si le pays fait depuis dix ans face à une immigration massive, notamment d’étrangers de confession musulmane. En l’an 2000 eut lieu une grande controverse entre l’archevêque d’Athènes et le gouvernement qui voulait rayer la mention « religion » de la carte d’identité grecque. Le clergé appela alors à de grandes manifestations et recueillit plus de trois millions de signatures à travers une pétition. Or l’Église a perdu le combat et la mention a été retirée des cartes d’identité.
L’institution de l’Église relève au sein de l’État d’un département autonome (dit « autocéphale »). Son clergé séculier est rémunéré par le budget public et ses projets font l’objet de subventions étatiques. Le statut de droit public dont bénéficient l’Église et les organismes associés lui offre ainsi des moyens de pression qui s’exercent d’abord par l’intermédiaire du ministère de l’Éducation nationale et des Cultes. L’enseignement de la religion est obligatoire à l’école publique, les séances au Parlement commencent par une prière, et chaque nouveau Premier ministre prête serment sur une Bible dorée devant l’archevêque d’Athènes : unique exception de l’histoire faite par Alexis Tsipras et son gouvernement (voir d’Land du 30 janvier 2015).
L’Église orthodoxe – deuxième propriétaire foncier du pays après l’État, riche d’hôtels et d’immeubles, actionnaire de la banque nationale, et cetera – est aussi exempté d’impôts. Pas étonnant puisque dans un pays qui ne possède toujours pas de cadastre, Dieu seul sait sa fortune. Et malgré les scandales politico-financiers qui se répètent – corruption de juges, trafic d’icônes, abus sexuels, vente de terrains illicites1, entreprises offshore, et cetera – la promesse d’une « catharsis » reste encore suspendue.
Ainsi, malgré les engagements préélectoraux du gouvernement actuel de séparer l’Église de l’État, cette année aussi la « lumière sainte » sera transportée par avion de Jérusalem à Athènes – cela au frais de la princesse ruinée qu’est la Grèce. Il ne reste qu’à prier…