Chaos C’est – et à tous les niveaux – le mot-clé en ce moment en Grèce. L’ultimatum du « Grexit » pèse une fois de plus sur le pays. L’espoir, la rage, les analyses interminables font maintenant place à une… ignorance avouée. On ne comprend plus rien, ne sait plus s’il s’agit d’un refrain chanté aussi bien par la presse que par les dirigeants européens pour faire passer des « mesures d’urgence » et perpétuer les prêts insoutenables ou d’une réelle menace dont on ignore encore les retombées. C’est dans ce contexte de fatigue et d’agonie – qui durent – qu’a débuté, lundi dernier, le procès le plus attendu de l’histoire juridique grecque : celui d’Aube Dorée, le parti néonazi grec.
Procès historique Le procès sans précédent pour les tribunaux grecs a commencé devant un tribunal spécialement aménagé au sein de la prison de Korydallos, dans la banlieue d’Athènes. Il implique 69 prévenus (membres et sympathisants du parti), 300 témoins (appelés à la barre pour témoigner de violences et d’agressions), 120 avocats et cent journalistes et photographes accrédités. L’enjeu est aussi bien politique que social, puisque son verdict – qui pourrait ne tomber que d’ici un an – tranchera si la troisième force politique du pays continuera ou non d’exister.
Le procès a été suspendu après seulement deux heures. La raison ? L’un des accusés, n’avait pas d’avocat pour assurer sa défense. En parallèle, 24 des 69 accusés étaient absents – spécialement les leaders de la formation. Le parti emploie clairement une stratégie de dévalorisation politique du procès et utilisera tous les moyens à sa disposition pour le repousser. L’audience doit reprendre le 7 mai.
Crise et fascisme Aube Dorée fut fondé au début des années 1980 par Nikolaos Michaloliakos, qui s’est « inspiré » de Giorgios Papdopoulos, le dictateur grec qu’il a rencontré en prison en 1976. Le parti était peu connu jusqu’en 2008, quand ses membres ont intelligemment utilisé la crise comme « occasion » pour évoquer une « Grèce aux Grecs » et construire un discours anti-immigration violent. Aube Dorée est ainsi entré au Parlement en juin 2012. Le parti est resté stable après les élections de janvier dernier en conservant 17 députés – dont treize brillaient par leur absence pendant les premières semaines, car ils étaient encore en prison.
Violences et meurtre C’est en septembre 2013, quand un militant du parti néonazi a poignardé le jeune rappeur antifasciste Pavlos Fyssas, que l’offensive judiciaire contre Aube Dorée a été déclenchée. L’événement a provoqué le choc nécessaire dans l’opinion publique et dans la classe politique qui, après des années de reniement et de passivité face à des agressions notamment dirigées contre des immigrés, se sont réveillées.
La plupart des accusés ont été interpellés en septembre 2013 et ont passé la durée légale en Grèce de 18 mois en détention provisoire. Les responsables du parti seront jugés pour « constitution et appartenance à une organisation criminelle » et ses membres ou sympathisants pour « appartenance à une organisation criminelle ». Les accusés devront également répondre sur plusieurs dossiers venus alimenter la procédure, entre autres des tentatives de meurtre contre des pêcheurs égyptiens en juin 2012 et des violences contre des membres du syndicat communiste Pame en septembre 2013. L’enquête judiciaire sur le parti a également mis au jour de nombreuses pièces à conviction : documents photographiques et vidéos, preuves de la création de milices d’assaut, de l’existence de camps d’entraînement paramilitaires, de détention illégale d’armes, mais aussi témoignages de repentis décrivant le fonctionnement du parti – par exemple des raids nocturnes en moto pour « casser de l’étranger » –, ainsi qu’une conversation pour le moins douteuse enregistrée par le porte-parole du parti néonazi, Ilias Kassidiaris, avec le secrétaire du Conseil des ministres du gouvernement de la Nouvelle Démocratie d’Antonis Samaras.
Idéologie et conséquences Au domicile de Christos Pappas, numéro deux du parti, la police a découvert un vrai « petit temple nazi » constitué de croix gammées et de portraits d’Hitler sur tout support possible et imaginable. Les avocats des parties civiles précisent pourtant qu’ils ne demandent pas « la condamnation des accusés pour des motifs idéologiques, mais pour des faits qu’il faut juger, ceux de la vague de violence raciste qu’a connue le pays depuis 2008 ». Le réquisitoire du parquet va encore plus loin: « Ne peut être considérée comme légale une association ou organisation qui, sous le couvert d’être un parti politique, poursuit l’objectif du recours à la violence physique ou armée, lançant des menaces contre la vie humaine ou l’intégrité physique d’un citoyen ».