Rhétorique et politique Pour « informer de manière responsable l’opinion publique européenne et mondiale » sur les politiques de son gouvernement, Alexis Tsipras, Premier ministre grec, publia le 31 mai dernier un article dans le journal Le Monde titré « Non à une zone euro à deux vitesses ». Article dans lequel il explique les « lignes rouges » de son gouvernement – avec des arguments socio-économiques et des preuves statistiques –, tout en faisant un détour nécessaire par les principes fondateurs de l’Europe – avec quelques erreurs inexcusables quant au fonctionnement des institutions européennes.
Le 2 juin – au lendemain de la rencontre à Berlin entre Angela Merkel, François Hollande, Jean-Claude Juncker, Mario Draghi et Christine Lagarde – paraît, toujours dans Le Monde, un article qui ironise presque sur le désir de politisation des négociations de Tsipras – qui ne reconnaît ouvertement les enjeux politiques des négociations que sept ans après l’éclatement de la crise. La sensation qui en découle, en Grèce, est que nous en sommes arrivés au point sans retour où les médias sont devenus l’espace d’action politique par excellence.
Le nom d’Europe provient d’un mythe grec antique selon lequel Zeus s’est transformé en taureau pour séduire une jeune femme nommée Europe. Il réussit ainsi à la charmer assez pour qu’elle le suive avant de l’enlever. Il s’agit en réalité d’une histoire dont les clés sont l’enchantement, le mensonge, l’altération de soi et la fausse identité. Ces notions – mythologiquement fondatrices – correspondent-elles à l’actualité européenne ? Est-ce que le croisement devant lequel se trouve l’Europe d’aujourd’hui – « une ou deux vitesses pour la zone euro » – comporte un mensonge ?
Aujourd’hui, l’hypothèse la plus crédible est celle qui consiste à dire que les mensonges ne se situent pas seulement du côté de Tsipras : « On peut lui reprocher sa connaissance très partielle de l’Europe et de la zone euro. On peut par contre le féliciter pour son instinct d’animal politique. L’Europe telle que je la connaissais et pour laquelle j’ai travaillé n’existe plus. Le mot ,solidarité’ inscrit en lettres capitales dans les préambules de tous les traités sonne aujourd’hui faux. Et je ne me réfère pas uniquement au cas de la Grèce. Depuis la création de l’euro nous assistons en effet, et pour des raisons diverses, à une réalité qui pourrait se résumer au renforcement de la position de certains États membres à l’intérieur de l’Union, à un effritement du soi-disant modèle social européen, à la paupérisation et la précarisation d’une grande partie de la population – que l’on appelait jadis la classe moyenne –, et à l’enrichissement de la petite élite économique, industrielle et financière. En somme : plus d’argent pour les riches, moins d’argent et de prestations sociales pour les classes moyennes et les pauvres », remarque un ancien fonctionnaire européen vivant actuellement en Grèce.
L’effondrement L’article de Tsipras peut-il avoir un effet sur le déroulement des négociations ? « Aucunement », répondent la plupart des Grecs. « Nous sommes incompris par l’Europe, explique une jeune femme de trente ans, mais quelle est la puissance d’un Premier ministre qui s’explique dans la presse ? » L’ancien fonctionnaire européen ajoute : « Je pense même que c’était une très mauvaise idée. Si Monsieur Tsipras voulait faire un débat sur l’Europe il fallait qu’il attende d’abord la solution de la crise grecque afin que sa parole soit crédible et considérée comme dénuée d’arrière-pensées. Mais Tsipras et son gouvernement connaissent l’Europe aussi bien que je connais l’astrophysique ! »
Indépendamment donc des réactions aux essais en journalisme du Premier ministre grec – et en Grèce elles sont extrêmes dans un sens ou dans l’autre – cet article devient l’occasion justifiée de se demander où va cette Europe régie par toutes les dynamiques sauf par celles qui furent à son origine – la paix, la solidarité, l’« unité supérieure de la fraternité européenne »1, et cetera.