Samedi 27 juin Dans la nuit de vendredi à samedi dernier, à 1.20 heures du matin en Grèce, le Premier ministre grec Alexis Tsipras annonce qu’un referendum se tiendra le 5 juillet. La question posée aux électeurs grecs sera de savoir s’ils acceptent ou non les dernières propositions soumises officiellement par les créanciers – Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international – le 25 juin dernier. Les institutions européennes s’engagent immédiatement, avec diverses menaces et pressions, en faveur du « oui ».
Dimanche 28 juin Suit la décision de la BCE de geler le plafond de l’accès des banques grecques à la liquidité d’urgence (le programme Ela), ce qui modifie entièrement la nature du référendum, car le gel du programme Ela rend inévitable l’instauration de restrictions bancaires importantes.
Lundi 29 juin Depuis ce jour les banques helléniques sont fermées et les rues de la Grèce sont remplies, jour et nuit, de longues queues devant les distributeurs de monnaie qui ne distribuent que 60 euros par carte bancaire : le contexte dans lequel l’électeur grec devra répondre change alors considérablement de nature.
Mardi 30 juin et mercredi 1er juillet Arrive la fin du deuxième plan d’aide pour la Grèce. Le FMI confirme que le pays n’a pas tenu ses obligations et déclare qu’il va examiner la demande du gouvernement grec pour une prolongation des échéances. Cela devient alors officiel : la Grèce a techniquement fait faillite. Tout le monde passe la journée devant la télévision : on attend pendant cinq heures la confirmation du Premier ministre que le referendum aura effectivement lieu, on attend ensuite les déclarations des partenaires européens et l’issue de l’Eurogroupe d’urgence qui a lieu dans la soirée. Alexis Tsipras et son gouvernement demandent aux Grecs de voter « non », car ce que les créanciers proposent consiste à perpétuer une politique d’austérité dont l’échec est désormais manifeste. Dans la soirée arrive une deuxième confirmation qui est aussi une promesse : selon les dires du Premier ministre grec et des autres dirigeants européens, les négociations reprendront dès lundi 6 juillet. Et le gouvernement grec de reconfirmer sa position : le « non » consistera à renforcer par la légitimation démocratique sa position de défendre une politique européenne alternative. Contrairement à ce que soutient l’opposition et certaines personnalités politiques européennes, il ne s’agit donc ni d’un « non » à la monnaie unique, ni d’un « non » à l’Union européenne.
C’est dans un contexte de peur constante pour le lendemain, et suite à cinq mois d’ultimatums subis par le peuple grec, que se déroule l’actualité en Grèce. Des manifestations se tiennent tous les jours à Athènes et Thessalonique, mais aussi dans de plus petites villes du pays, en faveur du « oui » ou du « non ». Les partisans de chaque option se disputent dans les files d’attente devant les distributeurs automatiques qui, paradoxalement, deviennent des lieux de débat politique. « Le but des créanciers est clairement de dramatiser l’enjeu du referendum pour faire entendre au peuple grec qu’il ne peut être question de poursuivre les négociations avec le gouvernement en cas de « non », soutient une dame âgée à cinq heures du matin devant un distributeur automatique. Un jeune partisan du « oui » lui répond : « Mais qui sommes-nous pour refuser leur proposition ? Nous n’avons plus le choix ! Est-ce que ces soixante euros que nous espérons retirer vont payer notre loyer ? Vont-ils nous nourrir ? »
Dramatisation La fermeture des banques, que l’on ait de l’argent sur soi ou pas, rend chaque transaction différente. La menace exagérée de ne plus avoir à manger règne. Dès lundi des familles se sont précipitées dans les supermarchés pour acheter des aliments à longue date de péremption. « La couverture médiatique est scandaleuse : les chaines privées ne soutiennent que le ‘oui’ en cultivant une peur démesurée. Il est violent de devoir prendre une décision dans ce contexte de peur, le poète grec Yannis Ritsos a écrit ‘N’aies pas peur d’eux, ils misent sur ta peur’ » s’enrage un jeune avocat qui manifeste pour le « non ».
Euro ou Drachme « Telle n’est pas la question, soutien un instituteur dans une manifestation pour le ‘non’, l’enjeu c’est de monter aux autres peuples européens que nous sommes avec eux sur le fond. Il s’agit de pouvoir changer l’Europe de l’intérieur ; éthiquement, techniquement et légalement nous ne pouvons pas sortir de l’euro. Ce que nous voulons c’est y rester ,mais sans perdre notre dignité ».
Réactions d’un partisan du « oui » Pensez-vous l’idée fondatrice de l’Europe – les États-Unis d’Europe : le plus jamais la guerre et la paix perpétuelle, l’unité dans la prospérité,… – est en train d’échouer ? S’agit-il de la cloche que la Grèce – ou même Tsipras – essaye de faire sonner le vote de dimanche ?
« L’Europe n’est pas et ne sera jamais les États-Unis d’Europe. Il y a pour cela plusieurs raisons : historiques, culturelles et politiques. Mais ceci n’empêche pas – les traités le permettent – un rapprochement d’une partie des États-membres qui aimeraient se fondre davantage dans certaines politiques communes et que d’autres ne veulent pas. C’est ce qu’à l’époque de Delors on avait qualifié de ‘géométrie variable’ et plus tard de ‘coopération renforcée’ : c’est ainsi que doit être vue la zone euro. En observant les négociations entre la Grèce et ses partenaires à l’intérieur de la zone euro, on peut se demander si cette coopération renforcée n’est pas un mensonge – des deux côtés. Sans vouloir évoquer les raisons pour lesquelles nous sommes arrivés à cette crise, on ne peut que constater que l’on se livre, nous Européens, à un spectacle mondial de mauvais goût et à des conséquences incalculables. Au lieu d’essayer de trouver la solution à l’intérieur de la famille, on introduit dans un débat purement européen le FMI – c’est-à-dire entre autres les Américains – afin de pouvoir profiter de ses règles et de ses méthodes pour imposer à la Grèce un programme dont on connaît pertinemment l’issue : l’échec. Au lieu d’aider la Grèce à sortir de la crise, on veut d’abord la punir, en faire un exemple pour d’autres ‘mauvais élèves’ éventuels ; et enfin, tester un nouveau modèle en Europe qui consisterait en une métropole et des colonies en son sein. Nous avons déjà vu ce modèle avec la Russie des Tsars et l’Union soviétique ».
Avant la fermeture des banques, 57 pour cent de la population grecque déclarait qu’elle allait voter « non », 30 pour cent « oui », alors que les treize pour cent restants déclaraient ne pas savoir/ne pas répondre. Suite à la fermeture des banques, ces chiffres ont évolué : le non est descendu au 46 pour cent et le oui est monté à 37 pour cent, alors que ceux qui ne savent plus ou ne désirent plus prendre position représentent 17 pour cent au moment de l’écriture de cet article. À la question de savoir si le Premier ministre a eu raison d’avoir recours à un referendum, 50 pour cent des interrogés répondent par l’affirmative et 38 pour cent considèrent cette décision comme une grave erreur.
Pas de panique Une réaction stupéfiante : « Nous avons enduré tant, quoi qu’il arrive, nous nous en sortirons. Manger du riz pendant quelques mois n’est pas grave, ce que je veux, soutient une jeune mère qui attend pour retirer ses soixante euros quotidiens, c’est que mes enfants puissent grandir dans l’Europe que j’ai connue, et qu’ils puissent vivre en Grèce une vie digne ».
Bluffs ? Ce qui rassure les Grecs, c’est qu’il n’y a, apparemment du moins, pas de plan B ; ce qui les inquiète, c’est le manque de solidarité au niveau politique européen. « Pourquoi est-ce qu’aucun dirigeant européen ne nous soutient ? Parce que si le ‘non’ à l’austérité gagne, les autres peuples vont se soulever. Ce qu’ils essayent, c’est de faire tomber notre gouvernement, de le punir d’avoir osé proposer ce que soutiennent désormais même les scientifiques et les prix Nobel de l’économie : une Europe solidaire », explique un chauffeur de taxi. Il continue : « Tsipras a perdu de sa légitimité en jouant le rôle du moralisateur. Il a perdu de sa crédibilité car il n’a pas encore lancé la modernisation de l’État, la répartition des charges, et n’a pas encore réussi à combattre la fraude fiscale, mais il est notre seule chance, notre seul espoir pour une Grèce meilleure. Si son gouvernement tombe, les autres qui jubilent déjà, vont reprendre les choses exactement là où ils les avaient laissées ».
Les esprits deviennent critiques : « Notre gouvernement a des faiblesses indéniables, mais cela ne change rien à la position scandaleusement apolitique de Bruxelles », explique une jeune adolescente qui assume complétement la situation : « Je ne quitterai pas mon pays et je ne veux pas qu’il quitte l’Europe. Je vais rester ici et me battre mais pas avec un salaire de 300 euros, cela n’est pas possible. Que le gouvernement Syriza, à l’encontre de ses propres engagements électoraux, ait accepté de se couler dans la logique du mémorandum et de jouer le jeu de l’ajustement budgétaire n’était pas suffisant : car la Troïka ne demande pas qu’un objectif global, mais aussi la manière. Il n’est pas suffisant que la Grèce s’impose des restrictions supplémentaires, il faut qu’elle les compose comme il faut. C’est à cela que nous allons dire non, pas à l’Europe ».
Oui à l’Europe Un jeune anarchiste qui essaye à son tour de retirer de l’argent est d’accord avec la jeune fille : « Le ‘non’ signifie qu’une solution sera trouvée dans les prochains jours et que les banques vont rouvrir rapidement, le ‘oui’ apporterait l’instabilité, le chaos et le retard de nouvelles élections qui deviendraient obligatoires, ainsi qu’un soulèvement massif contre l’Europe. La Grande Bretagne a annoncé le référendum pour le Brexit en 2017, le Danemark a un gouvernement en coalition avec un parti d’extrême-droite qui veut sortir de l’Union européenne, Marine Le Pen en France veut sortir de l’euro et ne cesse de monter dans les sondages. Nous avons l’occasion, avec notre ‘non’, de changer le cheminement de l’Europe. Devrions-nous, par peur, dire ‘oui’ au déclin de ses principes fondateurs et donc à sa fin ? ».
Telle est la situation actuelle en Grèce, un jeune anarchiste, une adolescente, une grand-mère, des partisans du « oui » ou du « non », peu importe, soutiennent les fondements de l’Europe. Cela est aujourd’hui manifestement la seule certitude dans ce pays.