Cynismes ? L’une des expressions qui ont le plus été entendues ces derniers jours en Grèce c’est que « nous sommes en train de faire faillite depuis 65 lundis ». Ce qui, désormais sans tabou, se dit ici est que ce sera l’« Europe allemande » ou l’« Allemagne européenne » qui sortira gagnante à l’issue de ces négociations trop longues et douloureuses et que, si aucun des autres partenaires européens ne réagit, c’est l’« Europe allemande » qui va prévaloir. Cela est dû, entre autres, au changement de position du FMI, les commentaires publiés dans la nuit de mercredi à jeudi dernier ont souvent mentionné les élections qui auront lieu prochainement au sein de l’institution et du besoin que Christine Lagarde a du vote allemand.
Crise Il y avait en janvier, deux manières de saisir ce mot : « crise ». La première était optimiste, car il s’agissait de concevoir ce moment historique de manière politique : la crise – du mot grec krisis qui veut dire jugement – était ainsi devenue l’occasion de penser et de remettre en question la Grèce et l’Europe, de se souvenir de nos objectifs fondateurs et de continuer à construire notre cheminement commun sur de nouvelles et bonnes bases.
« La seconde était pessimiste, explique un jeune étudiant en sciences politiques, elle consistait à nier complétement le facteur humain – les suicides en Grèce qui étaient rares et qui ont augmenté de 35 pour cent depuis 2010, les foyers sans électricité, les malades qui ne peuvent plus se soigner, le 30 pour cent de la population du pays qui est sans couverture sociale, le chômage chez les jeunes qui les oblige à quitter leur pays pour trouver du travail et toutes les autres conséquences sociales de cette crise… et à ne regarder que les chiffres, les bourses et les spéculations financières ».
Dans ce cas-là, la faillite et un Grexit plus ou moins maladroit seraient inévitables – « le pays, continue-t-il, resterait dans ce cas dans l’Union européenne mais tout le monde saurait, au fond de lui-même, que non seulement l’euro perdrait ainsi le peu de puissance symbolique qui lui reste, mais l’Europe deviendrait la risée de tous, elle deviendrait moins qu’une idée qui nous donne espoir et qui constitue l’horizon de nos possibilités : elle deviendrait une idée ruinée, détruite et dépassée par la finance ». En cinq mois, la première option est devenue une utopie.
Mise à l’écart Au sein de l’Empire romain, ceux qui connaissaient Rome étaient peu nombreux, la même chose est valable pour la plupart des Grecs, qui ignorent ce qui se passe à Bruxelles et au Luxembourg depuis l’entrée du pays au sein de l’Union en 1981 et qui les concerne directement. Mais ce supplice, ces « dernières chances », les répétitions des eurogroupes et des Conseils « donnent l’impression que nous sommes les ‘malsains’ qu’il faut mettre à l’écart afin que cette zone euro ‘redevienne saine’ selon les critères de ceux qui décident… », explique un marchand de fruits et légumes au centre de Thessalonique. En me disant également que cette semaine est la dernière qu’il ouvre son stand, car il ne vend plus rien. Il ajoute : « Tsipras est arrivé au bout du tunnel, il va tenir autant qu’il pourra et quand il sera complétement humilié, il signera : il est comme tous les autres ».
Telle est l’ambiance en Grèce depuis quelques semaines, entre les manifestations « Nous restons en Europe » ou celles qui soutiennent les positions initiales du gouvernement, ce qui règne de manière majoritaire, c’est une indifférence blessée assez choquante. Comme si la question à l’époque de la chute de l’empire romain était : « Et si Rome coule, est-ce que cela aurait un effet sur nos vies de tous les jours ? De toute manière elle ne nous soutient plus ».