Démocratie-quadrature du cercle Imaginez que l’on vous demande votre avis à deux reprises, que l’on vous ait toujours dit que l’expression démocratique de cet avis fait partie de vos droits fondamentaux et, qu’une fois votre position affirmée et réaffirmée, des technocrates non-élus décident, zone euro à l’appui, d’annihiler votre position.
Imaginez également que l’on vous dise que vous faites partie d’une famille qui s’appelle Europe mais que cette famille, parce que dix pour cent d’entre vous (les oligarques grecs) lui ont menti à son vu et su depuis plus de trente ans, décide de vous punir – vous tous, sauf ces dix pour cent. Imaginez aussi, que ce sont ces dix pour cent qui ont réussi à endetter de manière irréversible l’ensemble du pays et que, depuis cinq ans l’on vous dise que la seule solution consiste dorénavant à suivre des « plans d’aide », autrement dit à subir une austérité punitive, non respectueuse des droits de l’Homme et jusqu’à présent non réparatrice des failles incontestables de l’État et de son économie.
À un moment donné, vous, le peuple, votez contre ces plans « de sauvetage » et un nouveau gouvernement se bat pendant six mois pour convaincre les créanciers, parmi lesquels les « partenaires » européens, qu’il faut trouver une autre manière – sociale ? – de gérer le déficit du pays. Et, alors que les mémorandums se sont avérés objectivement inopérants – et que ce gouvernement réussit a obtenir le mea culpa du FMI ainsi que l’avis de 18 économistes prix Nobel en ce sens, les créanciers ne proposent à la Grèce, comme « ultime cadeau », qu’un troisième plan d’austérité, identique aux – voire pire que les – précédents et dont les effets seront clairement dévastateurs à tous les niveaux.
Capitulation – la seule option ? Et pourtant votre vote qui a osé envisager une autre voie que celle du modèle néolibéral est ignoré, votre gouvernement – et tout le peuple grec – est humilié, et vos possibilités de survie inconnues – viabilité de la dette mais aussi survie d’un peuple dans des conditions de crise humanitaire.
Imaginez encore que dans ce cadre, vous continuez à faire confiance à votre gouvernement – même lorsque celui-ci est en train de s’affaiblir (l’aile gauche de Syriza a fait savoir mercredi dans la journée qu’elle rejetait certaines des mesures d’austérité exigées par les créanciers en contrepartie du maintien du pays dans la zone euro, car le compromis du 12 juillet constitue « un coup d’État contre toute notion de démocratie et de souveraineté populaire »).
Or, le Premier ministre, du haut de sa stature d’homme d’État, n’a cessé de s’exprimer publiquement avec une sincérité accablée et accablante et de dire qu’il n’était pas d’accord avec ce texte dans sa totalité, mais que celui-ci constituait la seule manière de rester dans la zone euro, qu’il présentait l’avantage d’être un accord de trois ans et qu’il donnait en ce sens la possibilité d’appliquer des mesures d’assainissement de l’État et des perspectives de négociation pour la restructuration de la dette.
Victoire à la Pyrrhus Après les âpres négociations du week-end dernier avec les pays de la zone euro pour arracher un troisième plan d’aide, le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, a fait face à un second défi : faire voter les mesures drastiques et impopulaires exigées par les créanciers au Parlement grec, tout en conservant sa majorité parlementaire. Le tout sur un fond de colère populaire désormais grandissante. Le Parlement grec a fini par adopter ces réformes dans la nuit du mercredi au jeudi 16 juillet. Ce vote a eu lieu, mais Tsipras en est le gagnant affaibli : son gouvernement est divisé.
… En effet, pour comprendre la psychologie actuelle des Grecs, il faut essayer de se mettre à la place de citoyens endettés jusqu’à l’os – endettement dont ils ne sont responsables qu’à moitié – et qui savent qu’ils ne réussiront jamais à rembourser leur dette, ni actuelle ni future ; il faut essayer de se mettre dans la peau d’un peuple qui vit une récession interminable et une pauvreté de plus en plus paralysante et inédite en Europe contemporaine ; dans la peau d’un peuple qui, malgré les difficultés auxquelles il doit faire face, continue à soutenir son Premier ministre car « il fait preuve d’une sincérité héroïque qui inspire confiance », comme on l’entend souvent.
Les questions qui se posent en Grèce sont les suivantes : Faut-il capituler héroïquement parce que ces six mois passés et les trois ans à venir constituent les graines qui vont potentiellement germer pour une autre Europe encore possible ? Ou est-ce que ce mémorandum est l’une des étapes d’un plan méticuleusement mis en œuvre par la zone euro – Allemagne en tête – pour se débarrasser du seul gouvernement de gauche radicale en Europe ; actuellement la seule voix qui conteste la systémique néolibérale de la zone euro ?