Dom-Tom Ce mardi vers midi, une Bentley démarre en trombe sur le boulevard Raiffeisen. Sur la palissade d’un chantier, une grande affiche : « Un quartier qui regarde vers l’avenir ! ». Aux balcons des premiers blocs d’appartements, on aperçoit des traces de vie. Des chaises pliables, du linge qui sèche au soleil. Les jeunes employés de PWC, Deloitte et Alter Domus sortent de leur Bürolandschaft, fait d’open spaces dépersonnalisés, clean et paperless. Ils viennent s’acheter un sandwich, une quiche ou une salade de quinoa. Dans les files d’attentes, les juniors, seniors, managers et associés des Big Four se mélangent aux maçons, ferrailleurs, carreleurs et menuisiers. Ceux-ci travaillent frénétiquement pour terminer le gigantesque chantier de l’hypermarché Auchan et de sa galerie commerciale, dont l’ouverture vient d’être repoussée au 28 mai.
En face du mastodonte, quelques petites échoppes attendent les clients. Côté cour, des cantines huppées (Cocottes, Flowers Kitchen) côtoient un Subway, fréquenté par les lycéens. Côté boulevard, des filiales Fischer, Ketterthill et Ryanhair, le triptyque typique des rues commerçantes luxembourgeoises. Une pharmacie a ouvert en novembre, une nouvelle concession ayant été créée pour la nouvelle vie. Une habitante qui vient d’emménager, évoque un quartier à la population très internationale et plutôt jeune ; on ne rencontrerait quasiment pas de Luxembourgeois. Elle parle d’un quartier « presque indépendant » : « On n’a pas besoin d’aller en Ville ».
Le Ban de Gasperich, très dense et compact, est un monde en soi. Au loin, on devine la Ville, quelque part derrière les palissades et les champs, l’imprimerie Saint-Paul et les petits pavillons résidentiels de Gasperich. Les langues véhiculaires de cette ville nouvelle sont le français et l’anglais. Vis-à-vis de l’hypermarché à la façade dorée se dresse un imposant bâtiment en pierre naturelle qui ressemble à un musée d’art contemporain. Entouré d’une grille de sécurité, le campus scolaire francophone Vauban (financé à 80 pour cent, soit 126 millions d’euros, par l’État) exprime la désagrégation d’une ville où un enfant sur deux ne fréquente plus l’école fondamentale publique. En bas d’un immeuble, une agence immobilière affiche les prix des appartements « de haut standing » : 970 000 euros pour 83 mètres carrés, 1,5 million pour 113 mètres carrés.
Le Ban de Gasperich est une production Flavio Becca. Le mégaprojet (700 000 mètres carrés constructibles) illustre l’ascendant pris par le capital immobilier sur le politique. Dans Capital City (Verso Books, 2019), l’urbaniste américain Samuel Stein tente de définir ce nouveau « real estate state » : « A political formation in which real estate capital has inordinate influence over the shape of our cities, the parameters of our politics and the lives we lead. » Ce processus, écrit Stein, dégraderait la ville en stratégie d’investissement et les urbanistes en wealth managers. Le règne du capital immobilier sur les villes serait désormais quasi incontesté. Du moins depuis l’affaiblissement de son contrepoids capitalistique, l’industrie manufacturière, qui avait un intérêt objectif à ce que la classe ouvrière trouve des logements abordables. Ainsi, sur le territoire de la Ville de Luxembourg, ce qui restait de l’industrie (Villeroy & Boch, Heintz van Landewyck, Paul Wurth) s’est reconverti dans la promotion immobilière.
Accumulation Retracer la genèse politique du Ban de Gasperich est un exercice hasardeux. Les sources accessibles (coupures de presse, plans directeurs, PAP, comptes rendus des conseils et commissions communaux) ne révèle qu’une petite fraction de la mécanique. Les principales négociations se sont déroulées derrière des portes closes, entre une poignée d’experts. « Technocrates et responsables politiques étaient réunis autour d’une table. Le promoteur ne faisait pas partie du groupe », c’est en ces termes que Paul Helminger décrivait, en 2010, la genèse du plan directeur de 2004. Face au Land, il dit ne « jamais avoir eu une discussion individuelle avec Flavio
Becca » : « Je n’ai jamais vu ces gens tout seul. »
En 1993, alors que le secteur immobilier avait les yeux rivés sur le Kirchberg, Flavio Becca entame une tournée discrète de l’autre côté de la capitale, sur le Ban de Gasperich. Une à une, il visite les familles propriétaires et leur propose de racheter les parcelles. Celles-ci viendront compléter le puzzle foncier qu’avait commencé à y assembler son père Aldo Becca, un maçon devenu entrepreneur.
En 2013, lors d’une interview accordée au Land, Flavio Becca tiendra à « rétablir une vérité historique trop souvent bafouée par certains détracteurs du projet. […] Les terrains concernés par le projet Cloche d’Or ont toujours été classés en zone constructible, et ce déjà dans la version du Plan Joly, qui date du début des années 1960. » Le promoteur ne réussira pas à devenir propriétaire de l’ensemble des 80 hectares qui formeront le Ban de Gasperich. Les Funck-Faber, héritiers des Messageries Paul Kraus (vendues en 2000 à la multinationale suisse Valora), détiennent ainsi 110 ares situés sur le boulevard Raiffeisen, d’une valeur estimée à 72 millions d’euros.
L’allié politique Au début des années 2000, Flavio Becca fait le premier pas et dépose, auprès de l’administration communale, un volumineux masterplan. La majorité DP-CSV, menée par le maire libéral Paul Helminger, le reprendra à son compte. La Commission d’aménagement s’en montrera choquée dans son avis : « La Ville de Luxembourg ne devrait pas abandonner à la seule initiative privée la définition de la conception urbanistique en un endroit aussi important de son territoire ». Il faudrait privilégier le logement et « limiter la possibilité de créer des emplois supplémentaires ».
Le ministre de l’Intérieur, Michel Wolter (CSV), avait ses raisons d’être fâché. Le mégaprojet de Becca/
Helminger, allait dans le sens inverse de sa politique de décentralisation et de déconcentration. Le gouvernement voulait développer des pôles économiques dans la Nordstad et à Belval. Contacté par le Land, Michel Wolter se rappelle « la forte pression » exercée par les responsables politiques de la Ville de Luxembourg pour réaliser le masterplan de Becca : « Ils y tenaient absolument. Ils nous disaient même que si on était contre, ils le feraient tout seul. Or, à l’Intérieur, on était d’avis qu’on ne pouvait pas adopter à la va-vite un masterplan pour une surface tellement énorme. Qu’il fallait se laisser le temps... »
Comme compromis, Michel Wolter propose de former un groupe de pilotage, réunissant, outre le ministère de l’Intérieur, les communes de Hesperange et de la Ville. En 2004, Marc Werren du bureau suisse P.arc, chargé de l’élaboration du nouveau plan directeur, annonce l’ampleur des transformations à venir. « Die flache, ausgeräumte, leicht geneigte Agrarlandschaft werde in einen urbanen, hoch verdichteten Stadtteil metropolitanen Zuschnitts transformiert, était-il cité par le Wort. Agrarisch geprägte Landschaften würden vollständig verschwinden und durch eine urbane Ersatznatur ausgetauscht. »
Effet de place Durant son mandat comme maire de la Ville de Luxembourg (1999-2011), Paul Helminger aura tenté de se démarquer en tant que Macher. Un new public manager positionnant Luxembourg dans la compétition internationale. Afin de concrétiser ces ambitions métropolitaines, il lance une flopée de mégaprojets : Luxembourg-Central (avorté), Porte de Hollerich (dans les limbes), tout comme Royal Hamilius et la Cloche d’Or.
« C’est à peine qu’on a assez de masse pour faire cluster, dit Helminger face au Land. Les gens qui font du consulting ou du droit veulent se rencontrer, discuter. Le soir, ils veulent aller boire un verre ensemble. » Si certaines fonctions pourraient être délocalisées ou se faire via télétravail, il s’agirait de tâches de support, subalternes. « La Ville doit être le centre du droit et des finances. »
Le Ban de Gasperich était la réponse de la capitale au grand projet de Belval, promu par le gouvernement. François Bausch, échevin vert de la Ville de Luxembourg entre 2005 et 2013, se souvient de la peur des édiles communaux de voir des sociétés comme PWC quitter la capitale pour les anciennes friches d’Esch-sur-Alzette. « Soyons honnêtes : ces craintes tournaient beaucoup autour de l’impôt commercial. » Cette volonté de fortifier la place financière contre la concurrence de Belval se reflète dans la configuration du Ban de Gasperich. Le quartier fut conçu comme office town, avec uniquement quelques appart-hôtels et studios, où on comptait concentrer les cadres de la place financière.
En 2011 encore, trois mois avant les élections communales à l’issue desquelles il allait être écarté par le jeune Bettel, Paul Helminger explique au conseil communal que « la construction de nouvelles infrastructures scolaires et parascolaires n’est pas prévue dans le cadre de ce projet, pour la simple raison que les logements qui sont construits en cet endroit ne sont pas forcément conçus pour accueillir des familles avec enfants. » Que les managers travaillant au Ban de Gasperich finiraient par y élire résidence, cela aurait été « une illusion », concède Helminger aujourd’hui. « Les gens vont habiter là où ils veulent, pas à un endroit prévu par la commune. »
En réduisant les logements à la portion congrue, Paul Helminger permet au promoteur de commercialiser son mégaprojet comme un pur produit financier. Car un building de bureaux peut être intégralement vendu, locataires inclus, à un fonds d’investissement international. C’est ce que les urbanistes appellent une « pflegeleichte Baumasse ». Il faudra plus de quinze ans de négociations pour arriver à un rapport emplois-habitants de 1 à 3. Actuellement, 2 000 logements sont prévus (soit 6 000 à 7 000 nouveaux habitants), contre, approximativement, 22 000 emplois.
Quant à l’hypermarché Auchan et les 130 magasins de sa galerie commerciale, le plan d’affaires table sur onze millions de clients annuels, soit le double de la City Concorde ou de la Belle Étoile. Or, confronté au commerce électronique et au hard discount, Auchan traverse actuellement une crise en France (21 sites mis en vente) et en Italie (marché dont le groupe se retire). Le business plan de la Cloche d’Or, élaboré y a quinze ans, risque d’être anachronique. Le mall – développé par un consortium regroupant Cetrus, le groupe immobilier d’Auchan, et Promobe, la société de promotion de Flavio Becca – avait provoqué des crises d’angoisse parmi les établis. En 2006, la Chambre de commerce et la Confédération luxembourgeoise du commerce (CLC) s’étaient ainsi prononcées contre son implantation. Depuis, la confiserie Namur (historiquement liée à Cactus) et les librairies Ernster (dont le PDG est l’actuel président de la CLC) se sont laissé convaincre et ouvriront un magasin dans le nouvel Auchan, entre les enseignes des multinationales (H&M, Starbucks, Inditex). If you can’t beat them, join them.
Paul Helminger explique avoir lancé le projet Royal Hamilius pour créer, en pleine Ville Haute, un contrepoids à la concurrente de la Cloche d’Or. « Mon ambition, explique-t-il, était que le Royal Hamilius ouvre avant le Ban de Gasperich ». Il reste convaincu que le Royal Hamilius finira par convaincre d’un point de vue architectural et urbanistique. Il évoque la pyramide du Louvre et le tramway du Kirchberg : « Vous verrez comment l’ambiance se retournera, une fois le chantier terminé… »
Top down En janvier 2005, le conseil communal adopte le reclassement du Ban de Gasperich et définit ainsi la densité de construction. La machine est lancée, les paramètres fixés. Les options seront désormais très limitées. Contrairement aux friches des Lentilles rouges, développées par le promoteur Eric Lux, Flavio Becca ne se donna pas le peine de prétendre à une approche participative. Ce fut un projet top-down, discuté dans des cénacles restreints.
Le Syndicat d’intérêts locaux de Gasperich se ruine en frais d’avocats pour tenter de stopper le projet devant le tribunal administratif. Au point qu’en avril 2008, le Journal libéral s’affolait : « Würden die Kläger Recht bekommen, würde dies bedeuten, dass fünf Familien eine Stadtentwicklung stoppen könnten, die alle zukünftigen Generationen, und allgemein unser Land und auch unsere Hauptstadt brauchen. » Mais la tentative judiciaire fut vaine, les riverains perdront tous leurs procès.
Dépendance au sentier « Mir sinn där Saach gnadenlos hannendrun gelaf », admet François Bausch. Entrés au conseil échevinal fin 2005, les Verts auraient eu les mains liées. « Les décisions essentielles étaient tombées, les jalons posés. Il n’était plus possible de retirer le projet sans s’exposer à des plaintes pour dommages et intérêts. » Les Verts se seraient résignés à essayer de corriger un projet, qu’en 2005 encore, ils qualifiaient de « géckeg » : obtenir plus de logements, favoriser la mobilité douce et relier le site aux transports en commun. François Bausch, qui dit pourtant avoir apprécié sa collaboration avec « Paul » (« quelqu’un qui était prêt à prendre des risques », dit-il admirativement), se rappelle que les conflits les plus durs au sein de la majorité concernaient le Ban de Gasperich. L’attitude de Xavier Bettel et de Lydie Polfer par rapport au projet et à son promoteur aurait été « beaucoup plus critique » que celle de leur prédécesseur, estime Bausch.
Reste que Bettel aura surtout utilisé son court mandat à la mairie (2011-2013) pour consolider sa popularité via la communication événementielle. Au point de déléguer l’élaboration du nouveau PAG à sa marraine politique, Lydie Polfer. La maire actuelle, qui avait hérité du mandat de son père en 1982, a accumulé trente ans d’expérience et fonctionne en mode micro-management. Elle connaît chaque rue, chaque dossier comme le fond de sa poche. Sa politique du laissez-faire consistait à ne pas froisser son électorat : propriétaires, automobilistes et commerçants. Et surtout à éviter les chantiers. L’ironie étant que les retards cumulés ont conduit à un infarctus généralisé qui doit aujourd’hui être résolu... à coup de chantiers.
Début octobre 2017, en amont des élections communales, RTL-Télé embarquait la maire pour un tour dans le « Wahl-Taxi ». Le parcours passait par le boulevard Raiffeisen. « Est-ce que ceci est le développement urbain tel que vous l’imaginez ? », demande la journaliste alors que défilent, à gauche et à droite, des grands blocs de béton. « Ces décisions ont été prises il y a treize ans… », commence Polfer. « Do waart Dir grad net do ? », dit la journaliste. « Non, je n’y étais pas. Mais je ne veux pas ici me… Je donne juste une explication. »
La crise Le développement immobilier nécessite de forts investissements en capital fixe, c’est-à-dire un haut endettement ; d’où le rôle central joué par les banques. Au lendemain de 2008, l’exposition à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros des banques systémiques luxembourgeoises (BCEE, Bil et BGL) vis-à-vis de Flavio Becca commençait à inquiéter la CSSF. Ensemble avec l’imbroglio Livange-Wickrange (qui avait l’intérêt de divertir l’attention publique de l’enjeu du Ban de Gasperich) et des permis de construire qui se faisaient attendre, les nouvelles contraintes macro-prudentielles mettaient le modèle d’affaires des promoteurs sous pression.
En juin 2012, la Ville de Luxembourg délivre finalement son autorisation de bâtir. Ce sera Crystal Park, le QG de PWC, qui sortira Flavio Becca du pétrin. Le bâtiment est livré en novembre 2014, avec cinq ans de retard sur le calendrier initial. Le « grand opening » tombe mal. Trois semaines après les révélations Luxlexaks, l’ambiance est légèrement troublée.
Selbstverschuldete Unmündigkeit Les conseillers communaux de la majorité se retrouvent au bout du processus, enregistrant un Plan d’aménagement particulier après l’autre. Pas un seul vote négatif en quinze ans de procédures. En janvier 2010, ils adoptaient le PAP d’une contenance de quatorze hectares, incluant l’hypermarché de 80 000 mètres carrés (deux fois le Royal Hamilius) et de larges zones réservées à des bureaux. (Sur 690 000 mètres carrés de surface constructible, à peine 70 000 étaient réservés à la construction de logements.)
Lors de la discussion, le maire Paul Helminger explique que le projet « ne sera pas susceptible d’apporter une correction au déséquilibre logement-travail sur le territoire de la Ville de Luxembourg. Aussi longtemps que Luxembourg-Ville sera ville noyau, il ne sera pas possible de régulariser ce déséquilibre. » Le conseiller DP Patrick Goldschmidt estime que « si le conseil communal donne son feu vert, les travaux, à la grande joie des entrepreneurs luxembourgeois, pourront être entamés d’ici quelques mois. Les chantiers garantissent le maintien d’emplois ». Les Verts s’étaient assagis : « Une consulting-entreprise de renommée [PWC] se propose d’implanter son Académie européenne dans la zone d’activité, ce qui offre d’intéressantes perspectives », opinait le conseiller Déi Gréng Carlo Back.
Le 8 mai 2017, lors d’une réunion de la commission du développement urbain, un imprévu arrive : Les conseillers communaux refusent d’entériner le PAP que leur soumet le conseil échevinal. Il concerne 9,24 hectares situés du côté Sud du boulevard Raiffeisen. Les conseillers, y inclus libéraux, estimaient que la flexibilité – prévue pour permettre à Flavio Becca de « s’adapter aux fluctuations du marché » – équivaudrait « quasiment à une carte blanche pour le promoteur, ce qui n’est pas acceptable ». Le PAP fut renvoyé à la bourgmestre. Après une « discussion objective et transparente » entre le promoteur et le conseil échevinal, la commission réexaminera, à peine deux mois après sa première réunion, un PAP amendé. La nouvelle mouture réserve désormais quarante pour cent de la surface disponible (1 386 unités) pour le logement. « Une nette amélioration », se félicite la commission qui trouve « que cet effort est respectable ». Une petite fronde des conseillers aura donc suffi à pousser le promoteur à revoir entièrement sa copie. À moins qu’il ait compris que construire des logements était une affaire plus lucrative.
Public/Privé Paul Helminger était un des premiers lobbyistes pro-tram au sein du DP. Il aurait craint que la Ville ne finisse par éclater sous la pression polycentrique : Plateau Bourbon, Ville Haute, Kirchberg, Ban de Gasperich, Porte de Hollerich : « Il faut une colonne vertébrale en acier qui relie le tout, une agrafe physique qui tienne ensemble la Ville. » Or, le constat reste : À Gasperich, une ville nouvelle est en train de se créer sans que l’infrastructure publique ne soit en place. Le tram reliera le Ban de Gasperich au Kirchberg au plus tôt en 2023. (En automne 2021, il arrivera à la hauteur du Lycée technique de Bonnevoie.)
Le ministre du Développement durable et des Infrastructures, François Bausch, rappelle que les terrains et les immeubles privés sur le Ban de Gasperich seront « colossalement revalorisés » par cette extension du tram – « et c’est le public qui en paiera les coûts ». Et de citer l’exemple suisse (« pourtant un pays très libéral ») : « Si Migros plante un gigantesque supermarché aux abords d’une ville, alors Migros doit payer une partie des rails du tram qui y amènent. » Dans Capital City, Samuel Stein fait un constat similaire : « Public improvements become private investment opportunities as those who own the land reap the benefits of beautiful urban design and improved infrastructure. »
L’attractivité de l’avenue Kennedy pour les acteurs financiers s’explique ainsi en large partie par les institutions culturelles qui la longent et qui se prêtent merveilleusement à des sorties mondaines et des réceptions privées. Or, cette revalorisation concerne un territoire dont le foncier reste largement aux mains du Fonds Kirchberg, c’est-à-dire de la collectivité.
La valorisation des terrains de Flavio Becca ne dépend pas seulement du tracé du tram ou des boulevards Raiffeisen et Kockelscheuer (70 millions d’euros d’investissements par l’État), mais également du « Gaasperecher Park », que la commune aménagera pour seize millions d’euros. Il est le résultat d’un échange de terrains entre la commune et le promoteur : 6,3 contre 14,3 hectares, avec une soulte de 6,6 millions d’euros en faveur de la Ville.
Ce parc procurera une vue boisée aux blocs d’appartements. D’ores et déjà, il est célébré comme le futur Central Parc de la Ville : 14,9 hectares, avec le ruisseau renaturé, un grand étang au milieu (la natation y sera interdite), une buvette, des terrains de beach-volley et de pétanque. En juillet 2017, le projet provoque des envolées lyriques de la part des conseillers communaux. Claudine Als (DP) évoque « un parc paysagé, à lignes tranquilles et à courbes rondes », une « opportunité de créer quelque chose de grand, d’extraordinaire ». Surtout, soulignait-elle, « ne pas lésiner sur les moyens ». Puis de demander « si on ne devait pas y construire un parking souterrain ». Les vieilles habitudes ont la vie dure.