Dès le début du mouvement des Gilets Jaunes en France en novembre 2018, le démographe Hervé Le Bras avait observé que, proportionnellement à la population, la mobilisation avait surtout été forte le long de la « diagonale du vide », une large bande de territoire qui s’étend de la frontière belge à la frontière espagnole sur plus de 1 200 kilomètres.
Le grand public a découvert à cette occasion une notion familière aux géographes qui ont toutefois abandonné l’appellation, jugée péjorative, au profit de l’expression « diagonale des faibles densités » (DFD). Le point commun des zones concernées, très diverses, est en effet que leur densité de population est souvent trois à quatre fois inférieure à la moyenne nationale de 121,6 habitants/km². On n’y trouve aucune grande ville, à l’exception de Reims, Troyes et Limoges.
Si la faible densité de population est souvent liée aux caractéristiques géographiques d’une région (montagne par exemple), elle est aussi l’indice de sa déshérence économique. C’est pourquoi les Gilets Jaunes y ont été aussi présents. Mais si cette situation est préoccupante sur le plan social, elle est aussi créatrice d’opportunités, notamment dans le domaine immobilier.
Selon le professeur Michel Mouillart, porte-parole du baromètre LPI-SeLoger, « les prix de l’ancien les plus faibles en France épousent pratiquement la diagonale du vide ». C’est aussi au sein des départements qui la jalonnent que l’on trouve le plus de logements vacants. De quoi donner des idées aux acheteurs de résidences secondaires qui cherchent des endroits plus accessibles, en termes de prix, que leurs coins de prédilection habituels. En particulier les étrangers.
BNP Paribas International Buyers a publié en juin 2018 la dixième édition de son Observatoire du marché des acquéreurs étrangers en France. En 2017, les non-résidents ont réalisé 17 500 achats, soit près du quart du nombre total de transactions portant sur des résidences secondaires. Leur montant total s’est élevé à 5,29 milliards d’euros, soit un investissement moyen de 303 000 euros, en hausse de 28 pour cent par rapport à 2010. C’est plus élevé que le prix moyen d’une résidence secondaire en France, qui était de 245 200 euros début 2019.
Les Britanniques demeurent les plus nombreux à acheter des biens en France, mais leur part est en baisse (26 pour cent contre 35,5 pour cent en 2016). Ils sont suivis des Belges, de plus en plus présents avec désormais 18,4 pour cent des transactions, des Suisses (8,1 pour cent), des Allemands (sept pour cent) et à égalité des Italiens et des Néerlandais (5,5 pour cent chaque fois). Comme pour les Français, leurs acquisitions sont concentrées dans les régions les plus touristiques, en particulier les façades maritimes et l’Île-de-France (dans ce dernier cas il s’agit de pied-à-terre à Paris et sa proche banlieue).
Mais les prix ne cessent de monter. Île-de-France mise à part, alors que le prix moyen du mètre carré dans l’ancien est de 2 200 euros, tous logements confondus (appartements et maisons), il dépasse les 4 100 euros dans les Alpes-Maritimes et 3 600 euros en Gironde, en Haute-Savoie et dans le Var. Des départements comme le Gard, l’Hérault, le Vaucluse et la Drôme (notamment dans sa partie sud, dite « Drôme provençale ») voient aussi les prix des maisons augmenter et frôler les 2 500 euros au mètre carré pour une maison. Des prix qui commencent à devenir dissuasifs, compte tenu du coût d’entretien d’une résidence secondaire, de la fiscalité et des frais de déplacement pour un usage réduit (quarante nuits par an en moyenne).
Pourquoi ne pas aller voir ailleurs ? Selon les géographes la « diagonale du vide » contient de quinze à vingt de départements (lire encadré). Dans cinq d’entre eux, le prix moyen au mètre carré est inférieur à mille euros pour une maison. Dans six autres, il est compris entre mille et 1 200 euros. De ce fait, selon le baromètre SeLoger, le prix moyen d’une résidence secondaire n’y dépasse pas 160 000 euros. Dans les départements situés au centre de la DFD, il se situe même entre 110 000 et 125 000 euros, et en Haute-Vienne, le prix de vente de certaines maisons ne dépasse pas 50 000 euros.
Ces départements comptent de nombreuses habitations inoccupées. La carte de France des logements vacants montre qu’ils sont majoritairement situés sur la DFD. En 2016 leur nombre était estimé à trois millions d’unités, soit 8,4 pour cent du parc immobilier français, contre six pour cent dix ans plus tôt. En dix ans, il a quasiment augmenté de moitié et il presque équivalent au nombre de résidences secondaires.
Environ 22 pour cent sont situés en zone rurale et
32 pour cent dans les villes de moins de 100 000 habitants. La vacance affecte principalement les petits pôles urbains, avec une moyenne de 10,2 pour cent de logements vacants. Parmi les quatre qui connaissent un taux de vacance supérieur ou égal à treize pour cent, trois se situent sur le tracé de la « diagonale du vide » : Vichy (14,4 pour cent), Montluçon (14,2 pour cent) et Nevers (treize pour cent). La quatrième est Lunéville en Lorraine (13,3 pour cent).
Selon une étude de la FNAIM, une association professionnelle d’agents immobiliers, les communes isolées, situées en dehors de l’influence des pôles économiques, ont un taux de 9,3 pour cent. Les zones les plus touchées vont des Ardennes au sud du Massif central : il s’agit « d’espaces en stagnation, voire en décroissance » mais néanmoins « dotés d’aménités naturelles » propices à l’achat de résidences secondaires.
L’institut statistique national Insee observe que la plupart de ces territoires connaissent un solde démographique négatif à cause des décès, ce qui libère des logements. Mais la vacance ne résulte pas seulement du vieillissement de la population. Elle est aussi le signe de l’obsolescence, pour ne pas dire du délabrement, d’une part grandissante du parc dans les zones rurales et les petites villes. Une grande partie des logements inoccupés ne sont donc pas pour autant immédiatement habitables, ce qui explique le faible prix de ceux qui sont proposés à la vente.
Des opportunités réelles, mais quid de la desserte de ces zones en avion, en train ou en voiture ?
Aucun aéroport d’importance n’existe tout au long de la diagonale, même si les départements les plus au sud bénéficient de la proximité relative de ceux de Toulouse et de Bordeaux, respectivement 5e et 8e aéroports français. Toutefois des petites plates-formes ont délibérément joué la carte de l’international. C’est le cas de l’aéroport de Limoges, 29e du classement avec seulement 310 000 passagers, mais dont 91 pour cent sont étrangers et de celui de Châlons-en-Champagne, trois fois plus petit, qui compte 96 pour cent de passagers internationaux. Autres exemples : l’aéroport de Bergerac, à la limite ouest de la diagonale, mais au cœur du « Britishland » de Dordogne pointe au 28e rang avec une clientèle presqu’exclusivement britannique. Même les petits aéroports de Rodez (46e) et de Brive (47e) comptent respectivement 37 pour cent et 31 pour cent de passagers étrangers. Celui de Tarbes (22e) est un cas particulier : la clientèle internationale, qui pèse 68 pour cent du trafic, est principalement composée de pèlerins se rendant à Lourdes !
Seuls les trois départements les plus au nord de la diagonale (Ardennes, Marne et Meuse) bénéficient d’une desserte par TGV. C’est plus compliqué pour les autres : ainsi l’Yonne, située au sud-est de Paris, est traversée de part en part par la ligne à grande vitesse (LGV) vers Lyon et le midi, mais aucun train ne s’y arrête ! La LGV Atlantique, achevée en 2017, passe à la lisière ouest de la diagonale, mais au-delà de Bordeaux certains TGV poursuivent sur les voies classiques vers les Pyrénées et la vallée de la Garonne. Finalement, la voie ferrée qui épouse le mieux la diagonale est la ligne SNCF classique de Paris à Toulouse via Limoges. Elle est parcourue par des trains « Intercités » qui peuvent circuler à 200 km/h sur certains tronçons.
Les départements de la DFD sont sillonnés d’autoroutes (à péage) et de routes à deux fois deux voies qui ne sont pas concernées par la limitation de vitesse à 80 km/h adoptée en France en juillet 2018. En revanche, surtout pour les ressortissants de pays situés au nord et à l’est de la France, les distances à parcourir sont plus longues que pour rejoindre les régions qu’ils affectionnent habituellement. Pour les Luxembourgeois par exemple, gagner Limoges par voie exclusivement autoroutière est un peu plus long en kilomètres que de se rendre à Avignon (755 kilomètres contre 730), mais prend bien plus de temps en raison de la traversée de la région parisienne. Par ailleurs il faut compter 102 euros environ de péages ! Cahors, situé à 945 kilomètres de Luxembourg, est plus éloignée que St Tropez (930 kilomètres).
Les amateurs de résidences secondaires en France qui seraient découragés par le caractère excentré de la diagonale du vide peuvent toujours viser d’autres départements. Pour les Luxembourgeois, il ne manque pas d’opportunités à des distances plus raisonnables. C’est le cas, à moins de 300 kilomètres du Grand-Duché, en Haute-Marne, où le prix moyen au mètre carré des maisons est inférieur à 860 euros ou en Haute-Saône (1 054 euros). Plus au sud avant d’atteindre Lyon, la Saône-et-Loire (1 184 euros le mètre carré pour une maison) est également attractive, à moins de quatre heures de route.