d’Lëtzebuerger Land : L’agence Mikado a été créée à une époque où la publicité n’était pas encore très développée au Luxembourg. Il a certainement fallu faire d’abord un travail de sensibilisation des dirigeants d’entreprise luxembourgeois pour les persuader de communiquer, non ?
Jean-Luc Mines : Lorsque j’ai terminé mes études à Liège, fin des années 1970, début des années 1980, il n’y avait pas encore d’agence de pub proprement dite au Luxembourg. À l’époque, j’ai eu la chance de pouvoir suivre des stages dans de grandes boîtes de communication à Paris, où j’ai participé à l’élaboration de campagnes de publicité de taille pour la RATP, les épices Ducros ou Danone. J’ai pu y acquérir une expérience sur le terrain différente de ce que j’avais appris à l’école. Lorsque je suis revenu à Luxembourg, mon rêve était de lancer quelque chose de similaire ici. Au début, je me suis fait les dents en tant qu’employé dans une entreprise où j’ai mis sur pied une cellule communication. Ensuite, je me suis lancé dans l’aventure en créant Mikado. Camille Groff est venu me rejoindre six mois plus tard.
Quel a été le moment où vous avez percé sur le marché ?
C’était quand nous avons obtenu la totalité du budget publicitaire de Luxembourg, capitale européenne de la culture en 1995. Avant, nous avons surtout fait du graphique, des brochures, des logos. À partir de 1995, l’agence a vraiment démarré. Parce que nous avions aussi la possibilité d’agir à un niveau international, dans la Grande région jusqu’à Paris et à Bruxelles.
Quel a été l’argument pour persuader l’équipe de l’année culturelle ?
L’idée était de fragmenter l’année en mois, jours, heures, minutes et secondes. Par exemple : 6 300 000 secondes d’émotion. Nous avons édité un magazine mensuel qui a été distribué dans les grades villes des alentours…
… et vous avez lancé le « Plakert », figure emblématique de l’année culturelle
Je ne sais toujours pas pourquoi il a eu autant de succès. Du point de vue de notre image de marque, ça a été formidable. Le même jour de la première parution du Plakert, la télévision m’a contacté pour une interview.
Le but a été de choquer, non ?
Oui, et ça a été une belle réussite.
Quel a été votre plus grand défi ?
C’était lorsque nous avons lancé la nouvelle marque de scooters Kymco. Un Luxembourgeois avait obtenu l’exclusivité pour lancer la marque taiwanaise en Europe et il nous avait contacté pour la publicité. D’abord, nous nous sommes concentrés sur le public cible des concessionnaires potentiels en France avec le slogan « Le scooter venu d’ailleurs ». Nous avons choisi de miser sur l’aspect extra-terrestre du produit, une sorte de martien tout droit sorti du film Star Wars en jouant sur la silhouette du scooter. Ça a bien marché.
Mikado a aussi été à l’origine de la campagne électorale du DP pour les législatives de 1999 avec la création du fameux dauphin bleu. Les libéraux avaient alors remporté les élections après quinze ans d’opposition. Vous avez été le Jacques Séguéla du DP en quelque sorte...
D’emblée, un membre du DP m’avait annoncé la couleur. Il disait : « Si nous gagnons, c’est grâce au parti, si nous perdons, c’est à cause de Mikado. » Soit ! Mais pour moi, c’était un véritable défi personnel de me lancer dans le domaine politique que je ne connaissais pas spécialement jusque-là. D’abord, j’ai étudié les programmes électoraux de tous les partis en lice et je me suis rendu compte que tous les groupes abordaient les mêmes sujets. Aucun parti ne peut ignorer l’environnement par exemple. Les partis n’ont plus d’identité qui leur est propre comme lors de leur création et qui constituait leur raison d’être. À leurs débuts, les Verts avaient leur propre fonds de commerce, l’environnement était un sujet nouveau à l’époque, les socialistes aussi avec la défense des droits sociaux. Aujourd’hui, chaque parti est obligé de s’occuper des mêmes sujets, quelle que soit sa couleur. J’ai donc été sur le terrain, j’ai rencontré des politiciens, des journalistes. C’est alors que j’ai eu le déclic : un parti se vend comme un produit, rien ne vaut se concentrer sur le programme. Il lui faut un logo, une image. Dans le jargon publicitaire, nous disons qu’il se vend « comme un camembert ». D’abord, nous avons lancé l’emblème du dauphin : – un animal que tout le monde trouve sympathique –, ensuite nous y avons associé la couleur bleue que nous avons rendue omniprésente : elo di blo, blo fir den Zentrum, blo fir de Süden etc. Et puis c’était lors de la coupe du monde de football avec l’équipe des bleus. Maintenant, je ne sais pas dans quelle mesure cette campagne y a été pour quelque chose, mais je suis sûr que cette campagne a contribué à la réussite du DP.
Mais vous n’avez plus été chargé de la dernière campagne électorale du DP
Non, avec le changement des têtes du parti, leur agence de publicité a aussi changé.
Mais vous seriez prêt à recommencer.
Je ne pense pas. En tant qu’agence, il vaut mieux rester neutre. Cette campagne nous a valu la réputation d’être allié au parti, ce qui s’est traduit par un manque de commandes venant d’autres bords.
Vous n’êtes pas membre du parti ?
Je ne suis membre d’aucun parti.
À l’étranger, en France notamment, on assiste à un ras-le-bol de la pub. Ça se traduit par des affiches taguées par exemple. Des sondages viennent confirmer cette tendance négative. Est-ce que c’est le cas pour le Luxembourg aussi ?
Non, pas pour l’instant. Mais c’est difficile de s’en rendre compte, car au Luxembourg, il n’existe pas de sondage dans ce sens. Le seul problème que nous ayons rencontré concernait une publicité pour un opérateur de téléphonie mobile jugée sexiste. Il montrait une dame en train de téléphoner dans un solarium. Suite à l’intervention du ministère de l’Égalité des chances, nous avons retiré les affiches.
La recette est simple : les femmes nues, les enfants et les animaux attirent le regard et font vendre. Un peu plus d’imagination pourrait pimenter la publicité, non ?
Bien sûr, c’est aussi une question d’éthique que de limiter la manipulation du subconscient des gens. Dans ce contexte, je me souviendrai toujours d’une publicité pour cigarettes que j’ai vue à Liège. Le slogan était : « pas pour les gamins ». L’idée n’est pas mauvaise, mais c’est une provocation pour les jeunes et les enfants qui veulent être comme les grands, de vrais hommes. Je trouve que là, les limites ont été dépassées.
Le genre de publicités varie selon les pays et les cultures. L’Angleterre mise sur l’humour noir tandis que l’Allemagne est plus conservative, pour ne citer que ces deux extrêmes. Qu’en est-il pour le Luxembourg ?
Il faut dire que les Allemands ont fait des progrès. Ce qui est frustrant au Luxembourg, c’est que nous travaillons de la même manière que les grandes agences à l’étranger pour un public très restreint. Les volumes sont trop réduits, c’est une question de budget. En général, nous avons trois propositions à faire pour une campagne et souvent, ce n’est pas la meilleure version qui est retenue. Il faut des clients qui « en » aient pour tenter quelque chose d’exceptionnel. Et pour cela, il nous faut un maximum d’informations sur le produit. Tout dépend du briefing avec le client pour déceler le petit plus sur lequel nous pouvons construire notre campagne. En général, les chefs d’entreprise nous disent qu’ils font les meilleurs produits, alors que ça ne suffit pas pour faire vendre un article. Il faut plus d’arguments !
Comment se font sentir les effets de la crise économique ? Ce doit être les premiers budgets qui sautent dans les entreprises, non ?
Vous savez, il y a toujours eu des périodes de crise depuis le début du nouveau siècle. D’abord, il y a eu l’éclatement de la bulle Internet, ensuite les attaques terroristes du 11 septembre 2001, il y a eu des faillites retentissantes comme Arthur Andersen ou l’affaire Enron, la guerre d’Irak, la crise du pétrole, la crise financière et maintenant ses répercussions sur l’économie réelle. Certes, on ne peut pas faire l’amalgame de toutes ces crises et il est clair que nous sommes les premiers à en sentir les effets. Un dirigeant d’entreprise a décommandé plus vite une annonce qu’il n’a licencié du personnel. Ici, un coup de fil suffit pour arrêter les frais. Dans les années 1990, nous pouvions faire des prévisions dès mai/juin pour toute l’année, alors qu’aujourd’hui, cela se fait de mois en mois. Mais somme toute, l’agence Mikado a la chance de pouvoir compter sur des clients fidèles depuis très longtemps et conscients de l’importance de communiquer aussi en temps de crise comme BGL BNP Paribas, Bâloise, Pizza Hut ou le chocolatier Namur. En ce moment, le marché stagne, mais les trois premiers mois de l’année ont été positifs. Mais je dois aussi insister sur le fait qu’il sera plus difficile et plus onéreux de reconstruire une image de marque qu’on a pu négliger pour des raisons budgétaires. C’est une erreur de délaisser la communication en attente de la reprise économique, car la concurrence ne dort pas.