Avec son accent chantant, Christophe Petra ne peut pas cacher ses origines du Sud de la France. Né au Lavandou voilà 38 ans, le cuisinier nouvellement étoilé a volontairement appelé son restaurant Le Sud. Plus qu’un hommage, une déclaration d’amour. « Mon idée est de faire venir le soleil dans l’assiette, avec les produits du sud et de la Provence », raconte-t-il. Les mots gazouillent sur le menu comme si on entendait déjà les cigales et les grillons : barigoule, figues, pastaga, basilic, brandade, aubergine, tomates concassées, rouget, agneau, pastilla, olives… On enlèverait bien son pull.
Pour beaucoup de chefs, la cuisine est une histoire de famille. Pour Christophe Petra aussi, impossible de penser à autre chose. Avec une grand-mère qui exerçait à la cantine scolaire (« à une époque où l’on y pelait encore les patates ») et le restaurant paternel, le petit Christophe a vite fait d’oublier ses envie d’être menuisier. Scolarité chaotique, lycée hôtelier où il ne vient que pour cours de cuisine, il n’a pas quatorze ans quand il entre en apprentissage au Moulin de Mougins, chez Roger Vergé et ses trois macarons. L’inventeur de cette « cuisine du soleil » lui met le pied à l’étrier par le bas de l’échelle. « Il faut avoir récuré les casseroles pour apprendre à ne pas laisser attacher une sauce », explique Christophe Petra, qui a commencé bas pour monter vite.
Après deux années à Mougins, il passe par Cannes, au Gray d’Albion, puis à l’Hôtel des Roches au Lavandou avant de « monter » à Paris, passage obligé pour apprendre le métier autant que la vie. Pas encore majeur, Christophe Petra, intègre l’énorme brigade de chez Ledoyen (quarante personnes), se frotte aux seize heures de travail quotidien, à l’organisation au cordeau de Jacques Maximin et à la concurrence entre les petites mains. « La plupart des employés passent six mois au sous-sol, puis montent six mois à la brasserie avant d’intégrer, pour les meilleurs, le restaurant gastronomique. Moi je suis entré directement à la brasserie où je ne suis resté qu’un mois… ». Sans fausse modestie, Christophe sait qu’il a fait des jaloux mais sait aussi que c’est à son travail acharné qu’il doit son succès : « Mon talent ? Être à l’heure et m’intéresser à tout, ne jamais penser qu’on a fini ou qu’il n’y a rien à faire ». À tel point qu’il lui est arrivé de partir, épuisé du restaurant, et de se retrouver la toque sur la tête dans le métro.
Encore une escale à La Noupoule où il est chef de partie et Christophe Petra est repéré par Roger Jaloux, le chef de chez Paul Bocuse. Il a tout juste vingt ans quand il entre à Collonges, une des plus prestigieuses adresses du monde. Durant quatre ans, il y sera sous-chef et apprend encore et encore, le terroir, le classique, le respect du produit mais aussi la gestion et la rationalisation d’un restaurant : « Monsieur Paul m’a appris que rien ne se jette, tout se transforme », un aphorisme qu’il fera sien.
Finalement en 1997, il se jette à l’eau et ouvre son propre restaurant, déjà appelé Le Sud, dans son Lavandou natal. Sa fille naît le jour même de l’ouverture, le 3 juillet et progressivement, grâce à ses relations et à ses clients, il transforme le cabanon de bord de nationale en une adresse réputée. En 2001 il gagne une étoile et le président Chirac vient en personne l’en féliciter. Parmi ses bons clients, quelques Luxembourgeois lui mettent en tête de s’implanter au Grand-Duché. Nous sommes fin 2008 et après deux ans et demi de travaux, la nouvelle adresse ouvre. « J’ai pensé un temps garder les deux adresses, mais j’ai vu l’investissement que les Rives de Clausen me demandaient en temps et en énergie, j’ai fini par rendre mon étoile et vendre Le Sud dans le Sud pour ouvrir Le Sud dans le Nord-Est.»
Installés dans l’ancien silo à grain de la brasserie, la salle de restaurant, la cuisine et le bar avec sa magnifique terrasse se sont fait un nom dans le monde gastronomique luxembourgeois. Faute d’importer le soleil, Christophe Petra a gardé ses spécialités : le capuccino de pétoncles, cèpes et truffes ou le pigeon en crotte, désossé au foie gras et truffes. Il a toujours le même respect du produit, le travail des huiles (qu’il fabrique lui-même), l’observation des saisons (« jamais vous ne verrez de cerises en hiver sur ma carte »), les mets classiques revus au goût du jour. Il propose toujours un menu unique, changé chaque semaine en fonction du marché. Le menu est composé de deux amuses-bouches, trois entrées, plat principal, chariot de fromages, chariot de desserts et confiseries. « Ce concept fait parfois peur, mais c’est toujours adaptable aux goûts de chacun. » C’est aussi une manière très rationnelle de coller au marché : pas de pertes, que du frais. Une idée qui marche puisque le guide Michelin vient de donner une étoile à Christophe Petra « et à toute mon équipe », insiste-t-il.