Twitter s’est plié ces derniers jours à une demande du Pakistan de ne pas diffuser dans ce pays un certain nombre de tweets jugés blasphématoires par son gouvernement. Alors que le service de microblogging se présente volontiers comme un défenseur de la liberté de parole, cette décision, même si elle ne constitue pas une première, a été perçue comme un pas en arrière, surtout dans un pays qui use et abuse de la censure. Abdul Batin, de l’Autorité des télécommunications du Pakistan, a transmis à Twitter cinq requêtes, qui ont toutes été honorées : elles concernaient des dessins offensants du prophère Mohammed, des photos de Corans brûlés, les messages de quelques bloggers opposés à l’Islam et d’une actrice porno américaine. Ce qui a choqué, c’est surtout que Twitter a accepté cette censure en partie à titre préventif, donc avant même que certains des contenus considérés comme problématiques ne soient diffusés : le gouvernement pakistanais craignait apparemment que lors de la journée dite « Chacun dessine Mohammed », organisée pour la quatrième fois le 20 mai, des tweets jugés offensants ne soient à l’origine de troubles. Il faut dire que les années précédents, des contenus ayant heurté des sensibilités dans ce pays avaient débouché sur des débordements sanglants.
Rapportant cette information, le New York Times a signalé qu’un de ses articles, intitulé « La tyrannie du blasphème au Pakistan », avait été retiré de son édition locale, qui avait paru avec un blanc à la place du texte.
Pour le service de microblogging, une ressource de plus en plus appréciée par les journalistes du monde entier, donner droit à des demandes de censure est loin d’être facile. Twitter fait valoir qu’il vaut mieux céder à de telles demandes de blocage spécifiques si cela permet de continuer de diffuser son
service dans le pays en question, surtout alors que celui-ci aurait la possibilité de bannir l’ensemble de son service. Il s’engage par ailleurs à systématiquement signaler toutes les demandes de censure qu’il accepte à un site, Chilling Effects Clearinghouse, maintenu par des université de droits américaines et l’organisation de défense des droits des internautes Electronic Frontier Foundation (EFF). Et de fait, on trouve sur chillingeffects.org les cinq requêtes signées par Abdul Batin.
La décision de Twitter était-elle justifiée? Ne valait-il pas mieux tenir tête aux officiels pakistanais et, en cas de blocage total par les autorités, placer sa confiance en la débrouillardise des internautes pakistanais pour le circonvenir? Après tout, les printemps arabes et les mouvements citoyens contre le gouvernement turc ont largement réussi, ces dernières années, à déjouer les obstacles techniques qu’ont tenté d’ériger les autorités à l’encontre des réseaux sociaux.
En tout cas, deux récentes décisions de censure de Twitter ont certes été critiquées, mais bien moins que celles-ci. La première concernait les tweets d’un groupe néo-nazi allemand déclaré illégal, la seconde ceux du groupe ultranationaliste ukrainien Pravy Sektor, qu’il s’agissait, bizarrement, de ne pas diffuser en Russie. L’EFF a critiqué la décision concernant le groupe ukrainien en soulignant le caractère explicitement politique de son action et les difficultés grandissantes que rencontrent les organisations politiques pour s’exprimer en Russie. Dans le cas du Pakistan, l’EFF a cité une organisation pakistanaise de défense des droits des internautes qui affirme qu’en réalité la loi anti-blasphème ne justifiait en rien les décisions de censure.
Est-ce la peur d’être accusé, en cas de troubles au Pakistan, d’avoir mis le feu aux poudres qui a motivé la décision de Twitter? Ou celle de voir ses serveurs dans ce pays saisis ? Ou encore celle d’un manque à gagner en cas d’absence durable de ce marché ? L’article du New York Times censuré, qui raconte comment un étudiant de la ville de Multan, accusé sans preuve de blasphème, attend en prison son procès au cours duquel il risque la peine de mort, alors que l’avocat qui le défendait a été assassiné, fait en tout cas regretter que Twitter ait si facilement cédé aux intégristes et aux fonctionnaires zélés qui relaient leurs vociférations.