Le président de la Commission fédérale des communications (FCC), Tom Wheeler, a annoncé cette semaine vouloir lancer en parallèle un débat législatif et une consultation publique sur la question très sensible de la neutralité du Net. Wheeler avait lancé un pavé dans la mare il y a quelques semaines en suggérant que la Commission pourrait abandonner ce principe qui a jusqu’à aujourd’hui régi, en principe du moins, la fourniture d’accès à Internet. Cette neutralité signifie qu’un fournisseur d’accès à internet (FAI) traite à égalité, sans discrimination, tous les flux de ses abonnés, qu’il s’agisse de visionner des clips sur YouTube, télécharger des fichiers, publier des photos, faire une vidéoconférence sur Skype, offrir à un projet de « crowd computing » les ressources inutilisées de son ordinateur ou simplement surfer sur le web.
Face au risque que des arrangements spéciaux entre services en ligne et FAI mettent le Net en coupe réglée, autorisent les FAI à « renifler » les flux de leurs abonnés pour les traiter en conséquence et limitent l’innovation technologique, le principe de la neutralité du Net est généralement considéré comme garant d’un Internet ouvert, libre et démocratique. Le ballon d’essai de Wheeler, qui n’avait pas affirmé vouloir en finir avec la neutralité du Net mais vouloir encadrer les « fast lanes » négociés entre les grands services utilisant de vastes pans de bande passante et les FAI, avait donc sans surprise suscité force protestations, en provenance notamment des organisations de défense des droits des internautes.
A vrai dire, la FCC semble surtout vouloir éviter que des contrats comme celui passé récemment entre Netflix et Comcast ne vident de son sens le principe de neutralité, ouvrant la voie à une vaste empoignade au cours de laquelle les gros écraseraient les petits à coup de contrats préférentiels, imposant une culture de masse sur le Net et le faisant ressembler d’ici quelques années à un déprimant paysage télévisuel.
Au plan procédural, Wheeler souhaite soumettre à un vote de la Commission une « Notice of Proposed Rulemaking (NPRM) », qui prévoit discussion et vote des législateurs, mais aussi une vaste consultation des parties prenantes.
À cette occasion, le président de la FCC a fait une avancée remarquée qui reviendrait à classer l’accès à Internet comme service public (« public utility »), une requalification qui serait tout sauf anodine. En effet, expliquent les juristes spécialisés, celle-ci permettrait à la FCC de légiférer de manière très différente, en empêchant les FAI de désavantager activement ceux qui ne passent pas avec eux de contrats préférentiels. En d’autres termes, la FCC autoriserait les FAI à passer des accords de type « fast lane » qui leur permettraient de facturer à des entreprises comme Netflix, Amazon ou Youtube des plages de bande passante réservées, mais s’engagerait à éviter que de tels accords n’aient pour effet de ne laisser que des miettes aux autres, ne tuent la diversité ou n’empêchent des services innovants de percer. Sans cette requalification, et une fois autorisées les « fast lanes », la législation américaine offrirait en effet peu de moyens aux autorités d’endiguer une généralisation des accords de « priorisation du trafic » dont les effets pourraient être catastrophiques.
La neutralité du Net ne pourra sans doute pas être préservée telle que nous l’avons connue jusqu’ici : les pressions commerciales qui cherchent à la contourner ou à la vider de sa substance semblent trop fortes. Mais si la requalification en service public proposée par Tom Wheeler aboutit, on peut au moins espérer que les contrats de trafic préférentiel s’apparentent à un service spécial rémunéré pour de la connectivité additionnelle, par le biais, par exemple, d’un reversement d’une part du prix de l’abonnement Netflix aux FAI, plutôt que d’ouvrir la voie à un détestable Yalta de la bande passante.