Bitcoin

Le bitcoin et la pioche

d'Lëtzebuerger Land du 25.04.2014

On raconte que lorsque la fièvre de l’or enflamma l’ouest américain, les seuls à vraiment devenir riches furent les fabricants de pioches et autres outils de prospection ou d’extraction. Aujourd’hui, alors que la fièvre du bitcoin s’empare de nombreux internautes qui espèrent faire la culbute en tant que « mineurs » de la crypto-devise, ce dicton revient à l’esprit.

Dans l’univers monétaire décentralisé créé en 2009 par Satoshi Nakamoto, l’extraction de bitcoins, ou « mining », consiste à vérifier et à résumer l’ensemble des transactions réalisées à l’instant T en un fichier dit « bloc », qui contient une somme de contrôle pour le rendre infalsifiable. Mais pour pouvoir s’emparer du prix de 25 bitcoins alloué au mineur, celui-ci doit en outre fournir une « preuve de travail », à savoir la résolution d’un défi informatique demandant une puissance de calcul considérable. Le protocole bitcoin prévoit que la difficulté de cette preuve de travail est périodiquement adaptée à la puissance de calcul du réseau de façon à ce que la production de blocs soit cadencée à quelque dix minutes. Alors qu’au début de l’aventure bitcoin il suffisait d’un ordinateur branché sur Internet pour résoudre ce défi et avoir une chance d’emporter la mise, le succès du protocole et le progrès technologique ont rendu la tâche beaucoup plus ardue. Aujourd’hui, ce sont des équipements spécialisés et à la pointe de la technologie qu’il faut mettre en œuvre pour participer à cette course et avoir la moindre chance de gagner.

Le magazine en ligne Ars Technica a couvert en détail les procès en cours contre un fabricant de tels équipements, ou « rigs », Butterfly Labs (BFL), basé à Kansas, qui suggère qu’avec la fièvre du bitcoin, ce seraient à nouveau les fabricants de matériel d’extraction minière, en l’occurrence ceux qui mettent au point et vendent ces équipements informatiques dédiés, qui tireraient leur épingle du jeu. À la différence que dans cette histoire particulière, cet

équivalent du fabricant de pioches serait un margoulin qui encaisserait d’avance le prix des pioches, puis se servirait de celles-ci à son propre avantage en extrayant des bitcoins, sous couvert de test, pour ensuite, pour une partie au moins des commandes, ne rien livrer du tout ou alors des machines déjà partiellement dépassées par l’évolution technologique. Comme un marchand qui ferait payer d’avance ses pioches aux chercheurs d’or et, au lieu de les leur fournir, les esquinterait lui-même sur son propre filon. En juin 2013, BFL proposait un modèle de pointe coûtant la bagatelle de 22 000 dollars, mais aussi, pour 75 dollars pièce, les composants de base de telles machines.

Un des cofondateurs de BFL, Sonny Vleisides, était en sursis au moment de créer la société, après avoir été convaincu en 2010 d’avoir participé à une vaste fraude à la loterie avec son père, décédé en prison depuis. Vleisides a eu le malheur d’omettre de signaler à son agent de surveillance du sursis qu’il participait à la création de BFL, ce qui lui a valu d’être à nouveau conduit devant un juge. Entre-temps, les plaintes de clients de BFL mécontents se sont multipliées. Certains attendent depuis des mois que leur soient livrées les machines d’extraction de bitcoins promises et se sont adressées qui à Paypal, qui à une instance gouvernementale, qui à une organisation de défense des consommateurs.

L’image qui émerge de ces procès est celle d’une entreprise qui teste très abondamment les machines, qu’elle est pourtant censée livrer au plus vite compte tenu de l’obsolescence qui avance à grands pas, encaissant des bitcoins à son profit au passage, repoussant les livraisons pendant des mois et refusant souvent voire toujours de rembourser ses clients dépités.

Cependant, pour pouvoir continuer d’engranger des commandes, il faut livrer à au moins une partie des clients, et c’est ce que semble faire BFL. Ars Technica a mis en avant sur son site des commentateurs qui évoquent des expériences pas trop mauvaises avec BFL et se montrent plutôt bienveillants à son égard. Il est cependant à craindre que les magouilles attribuées à Butterfly Labs ne ternissent la réputation du bitcoin.

Jean Lasar
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