Par son montant vertigineux, la récente acquisition du service de messagerie instantanée Whatsapp par Facebook a relancé les interrogations sur l’existence, comme en 2000, d’une bulle Internet sur le point d’exploser. En y regardant de plus près, les journalistes économiques ont décelé de nombreux indices concordants étayant cette hypothèse. Forbes a fait remarquer qu’à16 milliards de dollars, cette fameuse acquisition s’est faite au prix faramineux de 345 millions de dollars par employé ! Des valorisations astronomiques signes d’une surenchère affranchie de tout lien avec la réalité économique, une course au positionnement de la part des géants du secteur qui fait fi des perspectives immédiates de rentabilité, voilà bien les classiques signes avant-coureurs d’une baudruche boursière susceptible de claquer entre les mains de ceux qui la manipulent.
Signe que les arguments en faveur de l’existence d’une telle bulle ont ébranlé plus d’un investisseur ces dernières semaines, plusieurs valeurs phares du NASDAQ ont piqué du nez. Twitter, qui avait dans un premier temps réussi son entrée en bourse malgré des résultats mitigés, a perdu la moitié de sa capitalisation en quelque trois mois. Facebook a reculé de 20 pour cent depuis début mars, alors que ses revenus publicitaires sur mobiles ont été jugés particulièrement prometteurs. Le paysage est contrasté.
La valse des introductions en bourse et des fusions-acquisitions semble vouloir se poursuivre, mais en soi cela ne protège pas le secteur d’une déconvenue comparable à celle qu’il a connue il y une quinzaine d’années. Le magazine Business Insider fait ainsi remarquer, tout en reconnaissant que cela peut n’être qu’une coïcidence, que la dernière fois que l’indice NASDAQ a atteint les 4 000 points, c’était précisément fin 1999 début 2000, juste avant l’explosion de la bulle. Le New York Times fait remarquer que si on prend en compte l’inflation il n’est encore qu’à 40 pour cent de ce sommet. 2012 a vu des introductions en bourse pour un montant record, tandis que le nombre d’IPO a atteint un chiffre inégalé en 2013.
Selon Business Insider, le marché du travail est invraisemblablement porteur pour les programmeurs doués : certains se font offrir un Tesla, coûteux bolide électrique de fabrication californienne, comme complément à leur salaire ; le « vp engineering » de Facebook, Mike Schroepfer, a gagné 24,4 millions de dollars en 2011. Et un programmeur de Google a refusé un job à 500 000 dollars dans une start-up parce qu’il touche déjà 3 millions de dollars en actions et primes.
Robert Cyran, dans le New York Times, croit cependant déceler des différences fondamentales avec la situation de 1999/2000. Pour lui, l’effervescence en cours est centrée sur l’utilisation des données – du coup, s’agissant d’un exercice somme toute bon marché, le risque de découvrir des trous béants dans les bilans des entreprises-phares du secteur est réduit : ces grands groupes sont bien nantis et ne risquent donc pas de se faire rattraper par leur dette. Robert Cyran reconnaît qu’une interruption de la forte hausse des valorisations des grands groupes de technologie pourrrait enclencher un effondrement boursier général, mais si cela se produit « cette fois ce ne sera pas le secteur technologique qui causera des dégâts graves ».
En décembre 2013, le magazine Wired se demandait déjà si 2014 allait être l’année de l’éclatement de la bulle. Sans écarter catégoriquement l’hypothèse, il faisait valoir que contrairement à ce qui se passait il y a quinze ans, les entreprises techno vedettes du jour ont au moins de modèles d’affaires plausibles et faciles à décrire. « Dropbox (d’ailleurs candidat à une prochaine introduction en bourse) facture des abonnements de stockage de données en ligne. Uber prend une commission sur chaque course, Square prend une commission sur chaque transaction par carte de crédit. Certaines sont un peu floues – on pense à Pinterest – mais il n’y a tout simplement pas le même sentiment d’absurdité » qu’au tournant du siècle, faisait valoir Wired.