Rien ne la prédestinait au rôle de médiatrice franco-luxembourgeoise que Sandrine Devaux détient depuis bientôt sept ans. Originaire de Toulon dans le Sud de la France, elle est arrivée un vendredi soir de novembre au Luxembourg comme on arrive chez les Ch’tis… un nouveau boulot l’attendant à l’Institut Pierre Werner le lundi suivant. « Je venais de terminer ma thèse sur le renouveau de la vie associative après 1989 en République tchèque. Je sortais d’une dizaine d’années passées dans le milieu académique pendant lesquels j’enseignais à Paris et à Prague…déterminée à affronter quelque chose de nouveau », se souvient la belle brune dont le teint de Blanche-Neige est aujourd’hui marqué par de (très) légers cernes sous les yeux : résultat d’un agenda plein à craquer et d’heures de travail qui ne se comptent plus. Au sein du cabinet du maire de Thionville, Sandrine est aujourd’hui responsable du festival Frontières, un des rares rendez-vous véritablement grand-régionaux qui vient de se découler entre le 6 et le 12 avril. Parfaitement élégante, les yeux verts bordés d’un maquillage assorti au bleu de sa robe, Sandrine Devaux vient de faire le parcours quotidien des quelque 75 000 frontaliers français dans le sens inverse et… est quand même tombée dans l’embouteillage.
« À l’Ambassade de France à laquelle j’étais rattachée via l’Institut Pierre Werner, on m’a dit que j’étais embauchée dans le cadre du programme 105 – Rayonnement de la France à l’étranger, rit-elle. Ça m’arrangeait – je venais de réaliser que plutôt que d’être moi-même sous les feux des projecteurs, je préfèrais me mettre au service d’une mission plus large, pourquoi pas d’une institution… tout d’un coup je me voyais représenter la France ! ». Elle aime repenser aux cinq années passées à l’Institut, « un travail de programmation et de réseautage qui m’a beaucoup inspirée, mélangeant contacts diplomatiques et politiques et qui m’a permis in fine de renouer avec le milieu universitaire tout en me plaçant dans le contexte de l’intégration européenne et de vulgarisation des sciences sociales». En dépit des conseils de certains collègues, elle choisit naturellement un logement à Luxembourg : « Je voulais explorer le pays comme il faut, à quoi bon d’habiter en Lorraine pour une Française d’ailleurs ?». Et elle prend ancrage au grand-duché : s’approprie les bases du luxembourgeois, enseigne à l’Université du Luxembourg et trouve son bonheur en amour. Or, une fois son contrat expiré, elle ne pense pas à repartir. « Après un moment de flottement, tout s’est bien goupillé, on m’a proposé de prendre en charge la coordination de la troisième édition du festival Frontières », auquel elle avait déjà été associée pour la deuxième édition via l’IPW, qui en est partie fondatrice.
Cette année, le festival était placé sous le signe des langues, « thème qui était en surface depuis longtemps. Si le festival a pris comme départ les frontières physiques, il s’oriente progressivement vers des frontières plus symboliques ». Un des premiers évènements du festival a d’ailleurs été une projection d’anciennes émissions de Hei Elei Kuck Elei lors d’une conférence au Centre national de l’audiovisuel ; coup de départ pour un festival explorant aussi le caractère fédérateur des langues. Nombre de Lorrains parlant le « platt » semblent en effet avoir été, à l’époque, spectateurs réguliers de la fameuse émission luxembourgeoise.
Comment est aujourd’hui perçue la Grande Région à Thionville ? Sandrine, posant son poignet arborant un beau bracelet en corne noire (acheté à un vendeur sénégalais ambulant au Cap Vert), est rodée aux réponses diplomatiques…« Il y a plusieurs niveaux de lecture, le premier étant une lecture politico-institutionnelle qui ne peut que résulter dans l’impératif théorique de soutien au projet politique qu’est la Grande Région. Après, il y a d’autres enjeux qui s’imbriquent, peut-être moins évidents », aussi liés au millefeuille décisionnel français. Un des problèmes majeurs de la Grande Région reste certainement sa faible visibilité. « Les Thionvillois restent très orientés sur Metz, métropole qui les relie rapidement à Paris, encore plus depuis l’ouverture du TGV-Est ».
Raison de plus de s’investir. Voyant loin, bosseuse et n’ayant pas peur de mettre personnellement la main à la pâte, Sandrine a fait du festival Frontières un évènement programmant foule d’évènements d’une large variété de disciplines artistiques (théâtre, danse, arts plastiques, cinéma, photographie, littérature, musique) et regroupant des personnalités de la Grande Région et d’ailleurs grâce à son formidable sens d’interconnexion. Ce travail sur les thèmes du terroir, avec les gens du grain, n’a fait que renforcer ses liens avec la région ; son avenir à elle, elle le voit clairement au Luxembourg. De frontalière de la mer, frontalière à l’envers.