On croyait que c’était fini et puis non, cette semaine, la neige est revenue. Encore. L’homme moderne est assez dépourvu devant les assauts météorologiques. Dès le matin, pour tous ceux qui n’ont pas la chance de ne disposer ni d’un garage ni, luxe encore plus rare, de chiens de traineaux de fonction, il faut prévoir le temps nécessaire pour déneiger, gratter le pare-brise et décoller les essuie-glaces. Quel meilleur moyen de commencer la journée que de se pencher au-dessus d’une couche épaisse de neige pour essayer de dégager son pare-brise pendant que d’autres automobilistes, tout aussi énervés par la même opération, vous éclaboussent d’un mélange de neige fondue, sel et boue ? Heureusement, vous aurez le temps de bien sécher, une fois installé dans votre véhicule, la durée de votre trajet se trouvant opportunément rallongée du fait des accidents, des opérations de salage en cours ou de ces idiots qui déneigent leur pare-brise en dépassant d’un mètre sur la route.
Il n’y a pas de mauvais temps, il n’y a que des tenues inappropriées. Certes. Néanmoins, les populations qui effectuent les transhumances quotidiennes vers les sommets enneigés du Kirchberg ou de la Cloche d’Or n’ont pas vocation à recevoir leurs clients en Moon-Boots et pulls Jacquard. Si les femmes s’en sortent avec une paire de ballerines coincées dans leur sac à main, afin de remplacer les bottes Ugg enfilées au-dessus des collants, les hommes sont dépourvus de solution complètement satisfaisante. On constate une recrudescence de pantalons de costumes enfoncés dans des bottes en caoutchouc ou de combinaisons improbables pure laine vierge + chaussures de trekking. Mais le cas le plus courant semble être une résignation commune à assumer la démarche chaloupée d’un cadre bancaire en mocassins tentant d’éviter le double-salto-triple-boucle-piqué. Après tout, il suffit de se souvenir des spectacles de Holiday on Ice ou des combinaisons couleur chair brodées de sequins des patineurs artistiques pour confirmer que, dans les conditions extrêmes que nous vivons depuis quelques semaines, élégance et confort sont définitivement inconciliables.
Alors la tentation est grande de faire fi du froid et de braver fièrement les frimas de février, la tête libre de tout bonnet qui ruinerait votre brushing impeccable. On en a tous rêvé dès qu’on a été assez grand pour refuser à ses parents l’inconfortable Schibox, l’infâme passe-montagne ou la ridicule cagoule : plus jamais vous ne laisserez aucune écharpe vous serrer le cou, plus jamais vous ne porterez des collants qui grattent sous votre pantalon. Et puis voilà, vos parents ne sont plus là pour surveiller votre tenue le matin, mais vous aurez quand même droit à votre punition. Un bon gros rhume, voire une bronchite ou, encore plus injuste, une grippe qui vous clouera au lit quelles que soient les précautions vestimentaires que vous auriez prises.
C’est l’effet positif de ce froid, qui nous rappelle quelques réalités élémentaires. Qu’un iPhone est complètement inutile avec des moufles. Qu’aucun déplacement n’est possible s’il tombe vingt centimètres de neige en une heure. Que tout le monde est égal devant le virus de la gastroentérite. Que, malgré le réchauffement climatique annoncé depuis plusieurs années et les oliviers en vente dans les jardineries, le climat du Luxembourg n’est pas (encore ?) méditerranéen.
Et, s’il fallait un dernier argument pour se consoler de devoir aller au travail par ces conditions, alors que la machine à café ne propose toujours pas de touche Glühwein, vous pourrez songer à vos enfants. En effet, quand, exténué par la journée de travail où chacun de vos collègues, votre chef et vos clients vous ont bien fait comprendre qu’ils étaient aussi énervés que vous, quand vous aurez survécu aux embouteillages, quand vous rentrerez à la maison trempé, vidé, frigorifié, vous vous rappellerez que les flocons de neige ont, jusqu’à l’âge précis à partir duquel il faut commencer à travailler, un effet exactement inverse à celui qu’il exerce sur les personnes soumises à des contraintes d’ordre professionnel. Remplis d’une énergie débordante, au comble de l’excitation, impossibles à calmer, vos enfants ne vous demanderont qu’une chose si vous avez l’imprudence de fuir trop tôt votre lieu de travail : sortir.