Dans la famille Koltz, j’appelle la cadette. Elisabeth, née en 1977, a trois ans de moins que sa sœur Beryl, la réalisatrice (dernier film : Hot, Hot, Hot). « C’est vrai que nous sommes une famille artistique ! » lance celle qui réunit les traits fins et le port altier de sa mère, l’artiste-peintre Michèle Koltz-Chedid, et le rire et le sens de l’humour décalé de son père Jean Luc Koltz, jadis conservateur de la section beaux-arts du Musée national d’histoire et d’art. Puis il y a la grand-mère, la poétesse Anise Koltz, et du côté de sa mère, son oncle, le chanteur Louis Chedid ou la grand-mère, l’auteure Andrée Chedid ; Matthieu Chedid – nom de scène M – étant son cousin germain... Enfin, voilà une possible explication pour sa passion du beau : elle est tombée dedans dès sa plus jeune enfance. « J’étais dans les musées dès mes trois ans, à regarder des tableaux partout, » se souvient-elle.
D’ailleurs, il n’y a pas de doute, l’encouragement familial l’a menée vers son métier actuel : Elisabeth Koltz est restauratrice-conservatrice d’œuvres d’art, travaillant en indépendante, dans son propre petite atelier installé en France depuis 2007. Si les premiers jobs d’été l’ont tout naturellement menée dès quinze, seize ans sur les chantiers des fouilles archéologiques du musée, elle se souvient encore aujourd’hui avoir eu une véritable révélation en faisant, à 17 ans, un stage dans le service restauration du Musée national d’histoire et d’art : combiner science et artisanat au service d’œuvres d’art – ce fut dès lors son métier de rêve. Suivirent un stage au Musée Peggy Guggenheim à Venise et des études spécialisées à la Cambre à Bruxelles, avec un mémoire sur la conservation-restauration de la peinture sur cuivre, et huit mois de terrain à Louxor en Égypte, travaillant pour le Centre franco-égyptien d’études des temples de Karnak à la restauration de sculptures et d’objets archéologiques du temple. « C’était ma première expérience professionnelle, raconte-t-elle, et c’était absolument génial ! ». La vie privée l’aura ramenée en Europe, d’abord à Paris, où elle travaille dans plusieurs institutions, comme le Palais de Chaillot – « c’était très bien pour acquérir de l’expérience et travailler avec beaucoup d’autres spécialistes » –, avant de s’installer à son compte à Sablé-sur-Sarthe, aux Pays de la Loire, où elle est proche de la nature – et de beaucoup de patrimoine historique.
« J’adore le contact avec les gens : lorsque j’ai une commande de restauration, je rencontre les propriétaires, souvent des personnes privées qui sont attachées à une œuvre ou en ont hérité, ou alors des villageois engagés dans leur paroisse à la sauvegarde d’une chapelle, on noue une relation autour de cette œuvre d’art, on se voit chez eux, ils me racontent leur histoire – tout le côté relationnel me fascine aussi, » affirme Elisabeth Koltz, qui affiche le même enthousiasme pour son métier que sa sœur Beryl pour le sien. « Bien sûr que je suis passionnée, sinon j’aurai abandonné depuis longtemps ! » éclate-t-elle de rire.
Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui est si fascinant à faire un travail de restauration-conservation qui prend des jours, des semaines, voire des mois, selon l’état de l’œuvre et la complexité de l’intervention demandée, alors qu’à l’ère du numérique, des effets semblables à ses photos avant/après se réalisent en deux clics sur Photoshop ? « C’est un métier qui allie un côté artisanal à la réflexion, chaque tableau est unique. Et je suis entourée de beau à longueur de journée ! » Qu’elle travaille pour des institutions, des associations ou des particuliers, Elisabeth Koltz opère toujours avec la même méticulosité, dresse un état des dégâts – qui peuvent aller d’une légère altération du vernis ou des couleurs par une mauvaise conservation jusqu’à de véritables dégâts sur la toile ou le cadre, des trous, des coupes, une mauvaise restauration ou un « nettoyage » dévastateur (par exemple à la pomme de terre, pratique hélas courante), voire une repeinture sur le tableau original. « Souvent, je dois d’abord ‘dérestaurer’, regrette-t-elle, enlever les mauvaises manipulations d’un de mes prédécesseurs ».
« C’est très émouvant de découvrir un nouveau tableau, quel que soit son âge, et d’avancer peu à peu dans son histoire, » s’enthousiasme-t-elle. Souvent, le travail de restauration, dont les moindres gestes sont consignés dans un cahier détaillé, s’accompagne d’un travail de détective, reconstituant peu à peu les étapes de la vie d’une toile qui a 300 ou 400 ans. « Mais je n’essaie jamais d’être créative moi-même, assure Elisabeth Koltz. Rester dans l’ombre me convient tout à fait. Je compare souvent mon travail à celui d’un médecin, un chirurgien alors... » Une bonne intervention sur une œuvre d’art doit être précise, résistante et surtout aussi réversible. « Parfois j’ai l’impression de ressusciter une œuvre en en retrouvant les couleurs, des détails, voire la signature pour en reconstituer l’aspect original. » Les photos avant/après dont elle publie quelques exemples sur son site www.elisabeth-koltz.com sont édifiantes. « Je suis toujours fascinée par ce que je découvre, dit-elle. Parfois, j’éprouve le même effet wow ! que les propriétaires quand ils retrouvent une œuvre restaurée ».
Malgré son déménagement vers la France, Elisabeth Koltz n’a jamais arrêté de travailler pour le Musée national d’histoire et d’art, puis trouvé d’autres clients au Luxembourg, comme notamment la ville de Dudelange, dont la responsable des galeries, Danielle Igniti, l’a faite travailler sur la restauration de nombreuses peintures de la collection, notamment une série de grandes toiles de Dominique Lang, qu’Elisabeth Koltz adore. Mais elle travaille aussi de plus en plus pour des clients privés, ne voit aucune difficulté à se déplacer ou à emmener les œuvres dans son atelier sécurisé, si les travaux à faire s’annoncent plus longs. « Beaucoup de gens pensent qu’on ne peut rien faire pour un tableau qu’ils ont par exemple hérité dans un mauvais état, raconte la restauratrice. Mais on peut toujours faire quelque chose ! » Si elle avait le temps, rigole-t-elle, elle pourrait écrire des livres sur les rapports des gens à leurs œuvres d’art – qui se lit aussi à leur état. Comme ces peintures murales dans les églises, repeintes en blanc lorsque les normes esthétiques ou morales changeaient.