Avant, partir à Milan pouvait coûter facilement plusieurs centaines d’euros. Sans vouloir jeter la pierre sur Luxair, dont le ronronnement des avions à hélice sonne aux oreilles des enfants de la capitale comme une douce musique en comparaison du vrombissement infernal des quadrimoteurs de Cargolux (ou de China Airlines), il faut reconnaître que les tarifs semblaient excessifs et que la compagnie nationale paraissait jouir d’une confortable rente de situation. Il faut dire que le confort d’avoir des vols directs vers les principales capitales économiques européennes a longtemps été un atout qui pouvait justifier que les tarifs des vacanciers soient alignés sur ceux des professionnels.
Maintenant, avec les compagnies low cost, il est possible de faire l’aller-retour Findel – Malpenza pour une cinquantaine d’euros. À ce prix-là, évidemment, il ne faut pas espérer recevoir une coupe de Bernard Massard, mais le principal est là : on arrive à bon port. Enfin, à bon aéroport. Ceux qui l’ont déjà essayé sont plutôt contents. Enfin, peut-être ont-ils surtout été contents d’arriver…
Il faut être honnête, après ces longs mois d’hiver, qui ne paierait pas 22,80 euros pour du soleil ? Certes, il faudra alors voyager sans bagage et revenir en auto-stop. Mais c’est déjà plus réaliste quand on part vers l’Italie pour la Pentecôte que vers Londres pour la Toussaint, qui était la première destination proposée par Easy Jet à l’automne dernier. Ensuite, il faut relativiser le prix annoncé et calculer le coût réel du voyage, même dans l’hypothèse improbable de nudistes auto-stoppeurs. Le nombre de places à tarif extrêmement réduit est extrêmement limité. De plus, il faut ajouter des frais de dossier, des frais de paiement (sic) et, évidemment, des frais de carburant, que mêmes les compagnies traditionnelles facturent aux voyageurs depuis longtemps. Comme si les restaurants osaient facturer à leurs clients des frais de nourriture en plus de l’addition.
Au final, difficile de savoir combien cela coûte vraiment avant d’acheter un billet. Du coup, il n’y avait pas le choix, il fallait se dévouer, j’ai décidé de tester avec abnégation une nouvelle venue, Vueling, qui promet, à partir de mai, d’aller à Barcelone pour le prix d’une bonne paella et d’un Rioja Gran Reserva. Deux adultes, deux enfants, quatre frais de bagages, quatre assurances annulation, quatre frais de dossier, 1 frais de paiement par carte. Total : 773 euros. Donc, en réalité, on tourne quand même autour des tarifs de 190 euros l’aller-retour par personne, tout compris. Ce qui dépasse les tarifs des restaurants espagnols du grand-duché (et même ceux de la plupart des restaurants italiens). Plus cher, surtout, que les 149 euros annoncés par Luxair !? Ha non, parce qu’aux mêmes dates, ces 149 euros deviennent 360 euros…C’est là que ça devient vraiment compliqué, le low cost. On ne sait plus du tout combien vaut quelque chose, ni à partir de quoi sont calculés les prix. On pourrait imaginer que, dans les avions, juste avant le décollage, les hôtesses annoncent aux passagers lequel d’entre eux a payé son billet le moins cher, et lequel s’est fait arnaquer. Ça mettrait de l’ambiance avant le décollage.
Si cela ne concernait que les voyages en avion, à la limite, ce serait un problème de riche. Mais le phénomène touche maintenant tout ce qui s’achète. C’est ainsi qu’on a réussi à fabriquer des lasagnes à moins de cinq euros le kilo à partir d’ingrédients qui, vendus séparément, coûtaient le double. Le bricoleur qui a déjà essayé de faire un trou dans du béton avec certaines perceuses vendues moins chères qu’une boîte de mèches de qualité sait ce qu’il faut penser des outils à dix euros. À côté de cela, de l’autre côté de la frontière, des opérateurs téléphoniques français proposent des offres illimitées sur toute l’Europe, à quelques euros par mois, quand ils pratiquent des tarifs alignés sur ceux des P&T au grand-duché. Le summum du cynisme étant sans doute atteint lorsque des familles d’ouvriers achètent (comme tout le monde) du made in China et deviennent des familles de chômeurs.
Après, on peut toujours espérer que le développement du low cost ne signifie pas que le Findel va devenir un hub international à partir duquel des millions de voyageurs viendront s’entasser dans des charters mais, au contraire, qu’il va encourager les acteurs traditionnels à améliorer leur qualité de service, à proposer de nouvelles destinations, à réduire d’éventuelles marges excessives. Finalement, même malgré l’ultra-low-cost, la presse gratuite, en couleurs, il reste des gens qui lisent des journaux payants, imprimés en noir et blanc. Et même jusqu’à la dernière page…