Il y eut un temps, il y a quarante ans, où les journalistes espionnaient les politiques – enfin, pas tous les journalistes quand même, mais le plus célèbre, du Wort – par exemple en se cachant derrière les buissons de la résidence du Premier ministre de l’époque, Gaston Thorn (DP), afin d’épier les invités d’une fête mondaine, histoire de démasquer les coteries de l’ennemi politique. Aujourd’hui, ce n’est plus la peine de se salir pour en savoir plus sur qui fréquente qui ou qui fait quoi, parce que tout le monde, y compris les hommes et les femmes politiques, s’expose plus que de raison sur les réseaux sociaux. On les y voit en maillot, en sueur, en cuisine ou en vacances. Voici le deuxième article de notre série sur le storytelling de la campagne électorale pour les législatives d’octobre sur Instagram (le premier, sur Claude Wiseler, CSV, a paru dans le Land 13/18).
Cette semaine : le député socialiste Franz Fayot. Né en 1972, il compte toutefois toujours parmi les jeunes, ce qui n’est pas étonnant au vu de la moyenne d’âge du groupe parlementaire socialiste. Franz Fayot n’est entré au Parlement qu’après les élections de 2013, remplaçant alors son père. Il semble donc si frais qu’il cosigna la célèbre tribune des dix élus et mandataires du LSAP appelée D’LSAP nei denken ! D’LSAP nei opstellen ! parue dans le Tageblatt du 6 janvier et perçue par les pontes du parti comme une fronde de ceux qui voudraient leur voler le pouvoir. Ce n’est pas un problème pour Fayot, parce qu’il échappera toujours à Etienne Schneider, tellement il est plus sportif et dynamique. Sur Instagram, on le voit prendre des selfies en sueur après ou durant des joggings, comme récemment à Tel Aviv, faire un plongeon dans le lac de Zurich ou pratiquer la natation dans les plus belles piscines historiques.
Actif sur Instagram depuis trois ans, à côté d’un blog franzfayot.lu, de Twitter et de Facebook (où il est plus politique), Franz Fayot publie beaucoup de photos privées ou d’ambiance, du quartier Gare qu’il habite et dont il promeut la gentrification grâce aux nouveaux commerces branchés, de son épouse (« love of my life » et plein de petits cœurs), et de leurs nombreux voyages, par exemple au Japon. Si, dans son travail parlementaire, Franz Fayot s’investit dans les thèmes sérieux, comme la régulation de la place financière (voir notre supplément Finances), et se veut parfois de gauche en proposant par exemple l’introduction d’un droit de succession en ligne directe (initiative qui a échoué), son Instagram est un espace protégé où règne le bonheur le plus total. Les fleurs y sont fraîches, les repas, de préférence préparés (et servis, photo à l’appui) par son épouse, ont l’air succulents, l’architecture du bout du monde moderne, la nature intacte, les couchers de soleil à couper le souffle et l’art contemporain intéressant. Franz Fayot est un storyteller conscient et averti : peu de mots dièse pour 532 abonnés et 260 abonnements, un fil nourri davantage de photos de campagne politique depuis quelques semaines, mais toujours beaucoup de selfies sur lesquels il se montre rayonnant, dents blanches et barbe de trois jours impeccablement coupée, aussi optimisé que faire se peut.
Le fil Instagram de Franz Fayot est le La-La-Land parfait dans un monde où les relations humaines se désarticulent, comme si le pays rêvé et le pays réel n’avaient rien à voir l’un avec l’autre. Mais peut-être que c’est aussi pour indiquer que le socialisme progressiste tel qu’il semble vouloir le pratiquer, rendra tous les gens aussi riches et heureux pour pouvoir se permettre une vie si accomplie. Lénine roulait bien en Rolls Royce, non ?