Tania Mouraud fait partie des artistes contemporaines françaises les plus connues et certainement aussi les plus radicales quant à leur démarche artistique. En 1968, à l’âge de 26 ans et après avoir vu la documenta 4 à Kassel, elle brûle tous les tableaux qu’elle a pu réaliser jusqu’alors. Cet acte extrême est depuis lors répété de façon symbolique ; chaque fois que Mouraud pense avoir exhaussé une discipline ou une idée, elle opère une césure. L’artiste se sert de techniques aussi variées que la peinture, l’installation, la performance, la photographie et la vidéo ou encore le son, afin d’exprimer sa conception de l’art et de l’interaction de ce dernier avec la société, de l’identité ainsi que du langage et de son lien avec la perception. Le Centre Pompidou-Metz lui dédie actuellement dans la galerie 2 une grande rétrospective.
Après avoir mis au feu ses peintures, Tania Mouraud se consacre à l’élaboration de sculptures minimalistes en formica blanc à l’échelle de son propre corps. Son corps lui sert aussi de repère afin de créer la première chambre de méditation, One more night (1970), reconstituée pour l’exposition au Centre Pompidou à Metz. Dans une pièce close, blanche et monotonement sonorisée, le spectateur monte quelques marches avant de se trouver devant un sillon ayant les mesures du corps de l’artiste, les bras et les jambes écartés. Les espaces d’initiation ou chambres de méditation se veulent des installations multi-sensorielles, créées pour des maisons ou des lieux extérieurs, offrant la possibilité de se retrancher du monde environnant. Si la reconstitution de One more night peut rappeler à d’aucuns les installations d’un James Turrell, il faut savoir que Mouraud fut pionnière de ce genre en Europe. Les maquettes et dessins de tous ces espaces (réalisés et non réalisés) ont été réunis pour la première fois pour la rétrospective.
Le parcours de l’exposition, arrangé chronologiquement, se poursuit par une série de photographies et de photo-textes sur film héliographique. La forme de certaines de ces œuvres est empruntée aux mandalas bouddhistes et renvoie elle-aussi à l’importance que la pratique méditative et la philosophie en général revêtent pour Tania Mouraud. Si le corps, l’âme et l’identité constituent des thèmes importants dès le début, le rôle du langage dans l’œuvre de Mouraud s’annonce avec les photo-textes. Au début des années 1970, l’artiste abandonne l’image au profit du seul langage. L’œuvre Black Power, par exemple, se compose de tableaux en relief monochromes noirs, représentant des mots et juxtaposés sur un mur. Mouraud n’a gardé que le vide des lettres. Il incombe au spectateur de les compléter à travers son propre travail intellectuel. En donnant forme aux espaces entre les lettres, l’artiste attire l’attention sur ce qui est normalement invisible.
Ces œuvres, qui peuvent de prime abord paraître ludiques, acquièrent un aspect plus critique et tragique face à la peinture murale MDQRPV ? (2015). Une phrase est appliquée en noir sur un mur blanc, les lettres étant étendues sur toute la hauteur du mur de façon à devenir presque abstraites. La phrase est tirée d’un livre de Svetlana Alexievitch sur la catastrophe nucléaire de Tchernobyl – « Mais de quelle radiation parlez-vous alors que les papillons volent et les abeilles bourdonnent ? » – et renvoie à la fois aux survivants de la catastrophe et à la contamination qui persiste toujours dans la région. La vidéo Sightseeing (2002) enchaine elle-aussi de manière inattendue l’anodin et le dramatique : un long plan-séquence d’un voyage à travers un paysage enneigé anonyme débouche sur un plan final montrant l’entrée du camp de concentration Natzweiler-Struthof en Alsace.
L’exposition se termine par une œuvre qui réaffirme l’intérêt que Mouraud porte à l’individu, à l’environnement et à l’immersion du spectateur dans une expérience multi-sensorielle. L’installation audiovisuelle AD NAUSEAM (2014) se compose de trois grandes projections vidéo montrant le travail dans une usine de recyclage de livres. Le zoom sur les livres qui sont détruits, ici dans le but de recycler le papier, rappelle évidement les autodafés de livres, en particulier ceux opérés en l’Allemagne nazie.
Le concept de l’exposition se distingue de celui d’autres grandes rétrospectives par son ampleur et par l’implication de neuf institutions partenaires de la ville de Metz dans le projet. À partir du 27 juin 2015 en effet, des œuvres de Tania Mouraud seront également exposées entre autres au Frac Lorraine, au Faux Mouvement et à la Galerie d'Exposition de l’Arsenal. Une des œuvres créées pour l’espace public par Tania Mouraud sera réactivée pour la durée d’une semaine : pour City Performance N°1, l’artiste a fait poser des affiches portant l’inscription « NI » sur 54 panneaux publicitaires dans la ville de Paris. Mouraud s’est servie de la logique de la signalétique routière, c’est-à-dire de la lisibilité qui se fait par la redondance. Avec cette œuvre, elle a surpris une fois de plus le passant ou le spectateur imprévu. On sera impatient de la découvrir dans l’espace urbain de Metz.