La réforme des prisons présentée juste avant Noël par le ministre de la Justice, François Biltgen (CSV), n’est pas révolutionnaire. Elle montre seulement que le Luxembourg va lui aussi s’adapter à l’évolution européenne en matière de politique pénitentiaire. Plus d’une dizaine de règlements grand-ducaux seront nécessaires pour concrétiser le projet de loi portant réforme de l’administration pénitentiaire. Il compte les déposer en fin février – jusque-là, il faudra se contenter des grands principes dessinés dans le projet de loi, qui laissent entrevoir des revirements très sensibles des conditions de détention dans les trois prisons : Schrassig, Givenich (le centre de détention semi-ouvert) et Sanem, la maison d’arrêt pour prévenus annoncée pour 2018 – le gouvernement compte y installer aussi l’institut de formation pénitentiaire pour les gardiens qui deviendront des « agents pénitentiaires ». Par l’augmentation de la durée de formation des membres du personnel surveillant de trois à cinq ans, le ministre s’attend à ce qu’ils se métamorphosent en personnes de confiance, « les premiers interlocuteurs des détenus afin de résoudre à un stade précoce toutes sortes de problèmes ». C’est la raison pour laquelle ils ne porteront pas d’arme à feu, menottes et matraques devront suffire pour persuader les détenus intraitables. « Une meilleure formation des agents pénitentiaires, notamment en matière de psychologie, devrait par ailleurs mieux les ‘armer’ pour résoudre des problèmes et désamorcer des conflits que des armes à feu », précise le texte.
À Schrassig, le ministre projette d’installer un centre de compétences : un quartier de haute sécurité pour les détenus qui sont en danger – les condamnés pour viols ou pédophilie par exemple vivent souvent l’enfer en prison, régie par une sorte de code d’honneur partagé par les détenus où l’abus d’enfants est considéré comme le plus ignoble des crimes –, une unité pour femmes, une unité pour personnes âgées et une unité psychiatrique à l’intérieur de l’enceinte du centre pénitentiaire pour les personnes qui tombent sous l’article 71 du Code pénal, l’irresponsabilité pénale constatée par expertise psychiatrique. « S’il est vrai que ces personnes ne doivent pas être emprisonnées mais plutôt traitées médicalement, toujours est-il que ce traitement doit avoir lieu dans des conditions et locaux qui empêchent ces gens de nuire à la société en commettant d’autres crimes, » est-il expliqué dans le commentaire des articles.
La solution est pragmatique – autant profiter des dispositifs sécuritaires existants à la prison pour y loger aussi des personnes dangereuses, qui n’ont pas pu être condamnées par la justice en raison de leur état mental. L’établissement pénitentiaire devient donc une sorte de poupée russe, avec un élément isolé, mis sous la responsabilité du ministre de la Santé, sous la régie d’un médecin directeur. Une pure opération esthétique pour garder les apparences d’une séparation stricte entre incarcération et internement, car l’enfermement psychiatrique ne peut constituer une peine, au risque de violer les droits de l’homme ? Le danger d’amalgame est réel, car le projet de loi prévoit aussi « une flexibilité pour certaines autres personnes qui peuvent être admises à l’unité psychiatrique spéciale », comme celles qui ont été reconnues « partiellement » irresponsables ou des détenus qui ont besoin d’un traitement psychiatrique particulier. Les détails en seront réglés par un règlement grand-ducal.
Toujours en matière de santé, les détenus pourront choisir un médecin référent qui ne doit pas forcément faire partie de la maison. Cependant, ils devront couvrir eux-mêmes les honoraires et payer le transport s’ils doivent se rendre à l’extérieur pour les consultations. L’annonce qu’ils pourront dorénavant bénéficier d’une couverture par la Sécurité sociale aide sans doute à couvrir les honoraires. Reste à financer le transfert vers le cabinet médical, ce qui ne doit pas être à la portée de chaque détenu.
Cependant, un autre aspect de la prise en charge médicale des détenus peut paraître plus inquiétant : l’instauration du « dossier de soins partagé », géré par le médecin référent, qui n’est ni plus ni moins qu’une dilution du secret professionnel. Là encore, la solution retenue est pragmatique. Le dossier médical est partagé par tous les médecins intervenants, qui sont également priés d’échanger leurs informations avec l’administration pénitentiaire. Cet allègement de l’obligation de confidentialité du personnel traitant est justifié par le fait que les morts en prison ont toutes « un dénominateur commun, à savoir un manque de communication et/ou d’échange d’informations sur la santé somatique et/ou psychiatrique du détenu entre les autorités pénitentiaires et judiciaires d’un côté et les acteurs médicaux de l’autre côté ». Toutefois, ils ne seront pas formellement libérés de leur secret professionnel, mais plutôt « encouragés à rechercher par exemple plus activement le consentement de leur patient afin d’échanger des informations ». Le grand écart.
La nouveauté du projet de loi de François Biltgen est l’idée du rapprochement des conditions de détention à la vie en liberté. En contrepartie, le détenu devra se plier aux règles et instructions et tenter de respecter le « contrat volontaire d’intégration » auquel il aura souscrit lors de son admission dans un des établissements. Il pourra être adapté au fur et à mesure du déroulement de sa peine. Le respect de ce contrat sera la clé de l’adaptation de la peine, car la Chambre de l’application des peines – qui sera nouvellement créée – pourra décider d’aménager la sanction prononcée si elle voit que le détenu aura fait des efforts pour respecter ses engagements. C’est un peu le principe de la carotte et du bâton. Toutefois, le texte ne dit pas si dans la négative, les deux parties contractantes – l’administration pénitentiaire et le condamné – en subiront des conséquences. Si le contrat n’est pas respecté, le détenu n’obtiendra pas d’aménagement de sa peine, point barre.
Ensuite l’intégration par le travail et la formation. L’administration pénitentiaire aura le droit d’imposer une tâche au détenu – rémunérée – sur base de son dossier et de ses capacités. Toutefois, il est précisé que le Code du travail ne s’applique pas dans les établissements pénitentiaires, sauf à Givenich. La priorité sera donnée à l’enseignement des matières fondamentales – lecture, écriture, calcul – et des langues pratiquées au Luxembourg. Ces formations seront aussi rémunérées, pour éviter une différence de traitement entre les détenus qui ont un travail et ceux qui participent à une formation.
Ceux-ci auront aussi le droit de s’organiser afin de se faire entendre auprès des autorités. Or, ils ne pourront obtenir le statut d’asbl, car cela supposerait la tenue d’assemblées générales qui ne sont pas réalisables en prison, comme le précise le texte.
Les détenus ont la liberté d’écrire des lettres et d’envoyer et de recevoir du courrier électronique, mais sans avoir droit au secret postal. D’ailleurs, le projet de loi ne dit mot sur la concrétisation du droit de vote, qui compte pourtant parmi les droits fondamentaux.
Le ministre de la Justice a aussi été heureux d’annoncer qu’aucun mineur en dessous de seize ans ne pourra plus être incarcéré dans une prison d’adultes. Or, il compte tout de même changer la loi sur la protection de la jeunesse qui ne permet l’emprisonnement des adolescents de plus de seize ans qu’après la clôture de l’enquête. Selon le projet de loi, leur détention sera possible dès la commission des faits.
Les visites non surveillées constituent une véritable percée en matière de nouvelles règles pénitentiaires. Car il faut se rendre à l’évidence que l’insertion d’un détenu se fait avant tout par le soutien de sa famille et de ses amis. Or, l’accueil au centre pénitentiaire et les contacts au parloir sous le regard des gardiens sont tout sauf chaleureux et propices à renforcer des liens, déjà très tendus par la condamnation et l’emprisonnement. Les conditions et le déroulement des visites non surveillées devront être définis par un règlement grand-ducal. Le conjoint, le partenaire pacsé ou d’une relation stable et les enfants de ces unions pourront bénéficier de ce genre de visite, après une enquête sociale.
Le ministre prévoit aussi un allègement des conditions d’accès à la prison pour les « habitués de la maison », magistrats, avocats, médecins, contrôleurs etc., qui ne devront plus obtenir une autorisation écrite de la direction à chaque fois qu’ils souhaitent accéder au centre pénitentiaire. Cependant, le déroulement des contrôles au sas d’entrée sera aussi revu. Il sera par exemple admis d’inspecter les porte-documents de personnes liées au secret professionnel. Des palpations corporelles, des fouilles corporelles et intimes sont aussi régies par un règlement grand-ducal.
La réforme pénitentiaire est donc une adaptation devenue urgente aux réalités du monde carcéral au grand-duché. Après la construction de la maison d’arrêt Uerschterhaff à Sanem, les trois établissements pénitentiaires auront une capacité de 900 prévenus, détenus et condamnés en semi-liberté avec un staff de quelque 800 personnes à gérer. C’est pourquoi les trois établissements seront administrés chacun par un directeur, le tout chapeauté par une direction de l’administration pénitentiaire, responsable pour la mise en œuvre de la détention. Dans ce contexte-là, l’individualisation du traitement des prévenus et des détenus, annoncé par le ministre, risquera vite de perdre en vitesse, face aux défis de la gestion journalière propre au monde carcéral.