La Cour européenne des droits de l’homme a condamné l’État luxembourgeois mardi, 14 décembre, à une amende de 5 000 euros pour violation du droit à un procès équitable. Au moment des faits, entre 2003 et 2006, le plaignant était détenu à Schrassig et y purgeait sa peine de quinze ans de réclusion pour coups et blessures volontaires, viol et séquestration avec tortures. Pendant ces années passées au centre pénitentiaire, il avait demandé six fois la permission de se rendre à l’extérieur pour accomplir des formalités administratives et pour suivre des cours en vue de l’obtention de diplômes. Toutes ses demandes furent refusées. Il avait saisi les juridictions administratives qui se sont déclarées incompétentes pour juger de cette matière délicate. Il s’était alors adressé au Parquet à cinq reprises, mais ses missives étaient restées sans réponses. Finalement, il demanda à voir le procureur général d’État qui lui promit de le rencontrer lors d’un prochain passage à Schrassig, mais cette visite n’a jamais eu lieu.
La loi du 26 juillet 1986 sur l’exécution des peines privatives de liberté fixe les conditions qui doivent être réunies pour pouvoir obtenir l’autorisation de quitter l’établissement pénitentiaire. Dans ce cas-ci, la commission pénitentiaire s’est penchée sur l’affaire, composée par le procureur général d’État ou de son délégué, un magistrat du siège et un magistrat d’un des Parquets. La commission prend sa décision en tenant compte de la personnalité du condamné, de son évolution et du danger de récidive. Dans ce cas-ci, les refus étaient motivés soit parce que le détenu ne faisait aucun effort pour indemniser les victimes, soit parce qu’il avait la possibilité de suivre une formation au sein de la prison, soit parce que la commission craignait qu’il s’enfuie pendant le congé pénal.
Or, aucun recours n’est possible quant à cette décision. La loi prévoit seulement que le détenu peut formuler une nouvelle demande après deux mois – sauf si de nouvelles situations se présentent. Le gouvernement s’en est défendu devant la Cour de Strasbourg en expliquant que le congé pénal était une « faveur » accordée, un avantage, qui n’est pas un « droit » que pourraient invoquer des détenus pour obtenir l’autorisation de se rendre à l’extérieur. Mais les juges n’ont pas retenu cet argument. Le fait que la législation luxembourgeoise prévoit des critères qui doivent être réunis pour pouvoir bénéficier d’un congé pénal montre que le détenu y a droit.
Finalement, comme les décisions prises concernaient les « droits et obligations de caractère civil » du requérant, il aurait fallu que son cas soit examiné par un « tribunal », disent les juges de Strasbourg. Cependant, la commission pénitentiaire ne répond pas aux critères nécessaires à un tribunal, car celle-ci ne se prononce pas « à l’issue d’une procédure organisée ». « Ce constat suffit en soi pour considérer que la commission pénitentiaire ne satisfait pas aux exigences requises d’un ‘tribunal’ », écrivent-ils dans leur arrêt.
En février 2008, le médiateur Marc Fischbach avait d’ailleurs déjà recommandé au gouvernement de modifier la répartition des compétences en matière d’exécution des peines privatives de liberté et de créer la fonction de juge à l’application des peines. Car il estimait que les procédures actuelles n’étaient « plus guère compatibles avec les principes du contradictoire et le droit à un recours devant un organe indépendant et impartial ».
Or, le concept de réforme pénitentiaire présenté au mois de mars par le ministre de la Justice François Biltgen (CSV) ne prévoyait pas encore la nouvelle fonction de juge à l’application des peines. À l’époque, il considérait que le régime luxembourgeois de l’exécution des peines pouvait être qualifié de « satisfaisant ». « Pendant les réunions mensuelles du groupe de travail qui planche sur la réforme, nous nous sommes rendus compte qu’il fallait aussi intégrer ce volet-là dans la réforme pour obtenir une certaine cohérence », précise aujourd’hui Jeannot Berg, le porte-parole du ministère de la Justice. Le 6 octobre, François Biltgen informa les députés de la commission juridique que, le volet de la resocialisation étant la pierre angulaire de la nouvelle réforme pénitentiaire, l’idée de confier l’exécution des peines privatives de liberté à un organe de l’ordre judiciaire contribuerait certainement, par la garantie de l’application de critères objectifs, à l’amélioration de la resocialisation du condamné. Concrètement, l’idée est de créer un organe collégial, la Chambre de l’application des peines, qui deviendrait compétente pour l’exécution des peines et s’occuperait aussi des recours introduits en matière de peines disciplinaires prononcées par l’administration pénitentiaire, comme le régime cellulaire strict par exemple. Les décisions de cette Chambre seront susceptibles de recours.
D’un côté, on pourra donc s’attendre à davantage de professionnalisme, avec l’obligation d’un suivi plus conséquent des détenus, comme le soutient Jeannot Berg. D’un autre côté, il faudra troquer le système flexible contre une procédure plus rigide, mais qui offrira plus de garanties pour éviter le reproche de trancher à la tête du client.