Fin 2010, début 2011, le ministre de la Justice, François Biltgen (CSV) présentera un nouveau projet de loi sur sa politique pénitentiaire1 qui constituera aussi un tout nouveau code pénitentiaire. Il sait qu’il faudrait au moins réformer le droit pénal en entier, mais comme il est d’avis que « ça urge », il souhaite d’abord se contenter d’un nouveau concept pénitentiaire. Qui, lui, commence par la réforme de la peine privative de liberté qu’il « faut limiter aux cas où c’est nécessaire ». Par là, le ministre admet donc que certaines détentions n’auraient pas été ou ne sont pas nécessaires. Intéressante approche du nouveau titulaire de la Justice, dont le prédécesseur Luc Frieden (CSV) a toujours prôné la tolérance zéro avec des arrestations à la pelle. Vincent Theis, le directeur du centre pénitentiaire de Schrassig (CPL) le dit aussi : « La justice pénale dispose aujourd’hui d’un répertoire de sanctions différenciées, parmi lesquelles la privation de liberté doit constituer une mesure de tout dernier recours. L’inflation carcérale résulte d’une application excessive des mesures privatives de liberté. La promiscuité qui en résulte rajoute à la souffrance tout en préjudiciant à la sécurité, au bon fonctionnement et à tout programme de préparation à la réinsertion. »
Il faut donc s’interroger « sur le nombre de détenus que le Luxembourg peut et veut se donner, » maintient aussi Dan Biancalana, le président de l’association luxembourgeoise de criminologie. Le nombre de détentions peut donc devenir objet à discussions. Ce n’est pas uniquement le résultat de la recrudescence des crimes et délits, mais bel et bien un choix politique et de société. Car de par le monde, il y a des variations énormes dans les populations carcérales. En chiffres absolus, les États-Unis en comptent dix fois plus que la Finlande, la Russie emprisonne elle aussi dix fois davantage que la Slovénie. Ces chiffres sont avancés par Sonja Snacken, professeure de criminologie et de pénologie à la VUB de Bruxelles. Politique, opinion publique et médias détermineraient cette évolution, dont découle la réaction pénale.
La prison de Schrassig est surpeuplée depuis des années. Mardi, il y avait 650 détenus, dont 289 non-résidents, 624 hommes, 26 femmes. Or, depuis 2001, la Cour européenne des droits de l’homme considère que la surpopulation carcérale fait partie des traitements inhumains et dégradants. Les États sont donc tenus à éviter l’emprisonnement sous ces conditions-là.
Pour le reste, il faut se contenter de chiffres approximatifs : la moitié des pensionnaires de Schrassig est en détention provisoire, en attente d’un procès ou d’un jugement. Il s’agit donc de présumés innocents. Pourquoi une telle proportion ? Du fait qu’il s’agit souvent de personnes étrangères, les autorités judiciaires estiment que le danger de fuite est réel et qu’il faut donc enfermer dès le départ. « Le plus souvent, le jugement couvre le temps passé en prison, explique Sonja Snacken, aussi longtemps qu’il est plus facile d’envoyer en prison que de le contrôler, on optera pour la prison dans l’attente d’une alternative. » Car là aussi, les juges évaluent le risque de laisser en liberté, plutôt que le risque d’enfermer une personne innocente. La durée de la détention préventive varie en moyenne entre cinq et dix mois dans les différents pays d’Europe. Or, pour le Luxembourg, « la question est de déterminer si le droit pénal, par la détention préventive, est chargé de problématiques que le droit de l’immigration est mieux à même de traiter, » estime Stefan Braum, professeur de droit pénal à l’Université du Luxembourg. « En estimant que ce dernier n’offre pas suffisamment de mécanismes de contrôle des immigrés soupçonnés de délits mineurs, le recours au droit pénal a la fonction d’ancre d’urgence, fonction qui ne correspond pas à l’objectif de la détention préventive : la sauvegarde du procès équitable. »
La réponse ? Le gouvernement est en train de construire une maison d’arrêt à Sanem pour les détenus préventifs avec une capacité de 400 lits. Il a annoncé son ouverture pour 2017. Or, la majorité des intervenants de cette journée d’études répètent que ces institutions ne doivent pas dépasser 200 à 250 lits. « De petites institutions permettent un meilleur contact entre les détenus et le personnel de surveillance, précise Sonja Snacken, elles permettent aussi de maintenir un régime de portes ouvertes à l’intérieur et le taux de violence est beaucoup moins important là où il y a plus d’activités. » Mais le ministre n’est plus là pour entendre son intervention. Et de toute manière, compte tenu des oppositions farouches des communes pour accueillir ne serait-ce qu’une unité de sécurité pour une douzaine de mineurs délinquants, on peut se demander combien de temps serait nécessaire pour trouver une localité pour l’implantation d’une autre structure.
Intéressant aussi le rôle important que peut jouer le personnel surveillant qui peut mieux développer ses compétences et ses capacités à l’intérieur de petites structures où les systèmes de surveillance électroniques ne sont pas prioritaires comme dans des prisons à haute sécurité. « Trop de sécurité crée des problèmes de sécurité », assure Sonja Snacken. Lorsqu’un détenu estime que la surveillance est exagérée par rapport à ce qu’il a commis, il aura tendance à vouloir s’en débarrasser, à se défendre contre cette « agression » omniprésente. Au CPL, rien que la maintenance des dispositifs de sécurité coûterait, selon les sources du Land, presque un million d’euros par an. Pourtant, la moitié des détenus y sont pour des crimes et délits liés à la toxicomanie. Ce ne sont donc pas des individus très dangereux qui devront être mis à l’écart pour de nombreuses années.
Le concept du ministre Biltgen ne pourra être mis en musique qu’après la construction de la maison d’arrêt à Sanem, après 2017 donc. Un nouvel élément vient se greffer sur ce nouveau concept, assure-t-il, la resocialisation. Il indique vouloir concentrer ses efforts sur ce point-là, même s’il n’est plus à la mode, car les ministres européens ont laissé tomber cette partie du programme de Stockholm. Pour cela, il propose un contrat au détenu, à l’instar de ce qu’il avait prévu dans son fameux projet de loi 5611 lorsqu’il était encore ministre du Travail et qui avait provoqué une levée de boucliers des jeunes.
Poète à ses heures, il compare le détenu à un poisson d’aquarium qu’il faut acclimater avant de le transférer dans un nouveau bocal pour éviter le choc fatal. Il est même conscient qu’à leur sortie de prison, « les ex-détenus ne se retrouvent même pas dans un aquarium, mais dans le vide. Ils rencontrent trois sortes de problèmes : trouver un toit sur la tête, trouver à boire et à manger, organiser leur journée. Extra-muros, ils risquent de résoudre ces problèmes d’une mauvaise façon. » C’est la raison pour laquelle il faut créer des liens entre les intervenants et couler le parcours de réinsertion – qui aura commencé en prison – dans un contrat à la sortie. « Il faut à la base une volonté, insiste le ministre, nous ne pouvons pas forcer le détenu. » Un contrat avec des droits et devoirs des deux parties, comme il l’assure, entre le détenu et tous les intervenants – qui ne sont pas uniquement les agents de l’État, mais aussi les organisations de soutien, la famille.
Avec à la clé une récompense : ce contrat aura un impact sur l’exécution des peines, assure le ministre qui prévoit aussi une réparation de l’atteinte à l’ordre public par la médiation avec les victimes. François Biltgen espère faire des envieux à l’étranger avec son nouveau concept. Mais tout dépend de la mise en œuvre de ce contrat, précise Sonja Snacken, « il peut avoir comme conséquence positive d’ajouter plus de clarté quant à la suite donnée aux efforts du détenu. Il peut aussi responsabiliser le système qui est obligé de proposer des activités de réintégration, sinon il peut rendre la détention illégitime, ou même illégale. Mais je crains quand même que la responsabilité reste finalement au niveau du détenu et que si par exemple, il y a surpopulation ou qu’un service d’aide n’existe plus, le contrat s’arrête lui aussi. Ce n’est jamais considéré comme une faute. »
Un des principaux défis est sans doute de réinsérer des personnes dans la société qui ne l’étaient pas avant leur détention. Car, selon Philippe Combessie, professeur de sociologie à l’Université de Nanterre, nous enfermons « essentiellement des hommes, jeunes, peu ou faiblement diplômés, bien souvent issus de l’immigration et mal insérés dans les réseaux de sociabilité les plus légitimes. » En outre, l’ex-détenu portera ses stigmates bien au-delà de sa peine : « L’ex-détenu reste du côté des ‘repris de justice’, du ‘mauvais côté’ de ce fossé qui permet aux honnêtes gens de se cacher leurs éventuelles propres turpitudes puisqu’ils ne sont pas de ces ‘gibiers de prison’. » Difficile de concevoir une réelle réintégration sociale après l’incarcération dans ces termes-là.
Sur le terrain, l’association de soutien à la réinsertion Défi-job est constamment confrontée à ce genre de problèmes-là. Actuellement, elle emploie un ex-détenu qui est une véritable success story. À sa sortie de prison, il a été formé et a obtenu un emploi au sein d’une entreprise de construction, ce qui lui permettait de subvenir à ses besoins et à devenir autonome. Il a deux enfants et vit en couple. Cependant, le département immigration du ministère des Affaires étrangères n’a toujours pas renouvelé son autorisation de séjour, qui vient à son terme mardi prochain. À partir de cette date-là, son employeur sera obligé de le licencier, faute de papiers, même s’il aurait voulu prolonger son contrat. Au ministère, on a assuré plusieurs fois qu’il obtiendrait son autorisation de séjour, mais à quelques jours de la date butoir, l’attente devient torture.