Un oiseau s’est cogné contre les vitres de la vieille distillerie. Des plumes y sont restées collées. L’écriteau date d’une ancienne époque, une antiquité en céramique qui va bien avec les vieux bâtiments de la ferme. « Il me fait penser aux films de Louis de Funès, » plaisante la directrice-adjointe du centre pénitentiaire de Givenich, Anne-Catherine Thill, en ouvrant la porte, fermée à double tour. L’accès y est strictement interdit pour les habitants du site, qui sont régulièrement testés s’ils n’ont pas touché à l’alcool ou à d’autres substances interdites. Même quand ils sont autorisés de sortie les weekends, ils n’ont pas le droit d’en boire. Les règles sont sévères, mais rien n’y sert. Le but du régime de détention semi-ouverte est de réapprendre au déchu de se relever, de le préparer à résister aux pièges de la liberté.
Depuis juillet 2010, cette possibilité de réinsertion progressive est aussi rendue accessible aux détenues, après des années de combat contre la discrimination. Il a finalement mené à la création de la section F, comme Femme, dans la maison Casel à Givenich. C’est vrai qu’il n’y a pas eu la masse critique nécessaire pour mettre la pression – elles ne sont que trois en ce moment, sur 70 hommes, pour une capacité d’accueil de huit. Et c’est vrai aussi que le modèle de la mixité n’a fait ses preuves nulle part ailleurs. Lorsqu’il a pris la décision de lancer un régime semi-ouvert pour les femmes en 2007, l’ancien ministre de la Justice, Luc Frieden (CSV), a pensé à limiter les frais pour cette poignée de femmes détenues. Et la solution la moins onéreuse a été l’intégration de la section F à Givenich.
La maison Casel, classée monument historique et située un peu à l’écart des bâtiments du centre pénitentiaire, a été complètement rénovée pour y loger les femmes et les ateliers de Défi-Job. La restauration et l’aménagement de l’ancienne fermette ont coûté trois millions d’euros. Le résultat est triste, blanc, gris et beige, le design froid et stérile. Surprenant par rapport à l’architecture d’antan de la fermette, conviviale, et des matériaux chaleureux utilisés à l’époque. Quatre cellules d’un côté avec les portes des chambres fermées à clé le soir – dont une avec annexe pour le lit de bébé – et quatre chambres de l’autre pour les détenues en semi-liberté. Ces pièces ne seront pas fermées la nuit. Une cuisine avec living et buanderie des deux côtés. À l’extérieur, une cour minimaliste avec du gravier, un banc pique-nique avec cendrier, sans abri contre les intempéries à cause des caméras de surveillance, vue sur un parking. Derrière, les alentours et la nature, fabuleuse en ce début du mois d’octobre ensoleillé.
L’exploitation agricole de Givenich compte quelque 150 hectares de terrain. Une aubaine pour la ferme, mais un casse-tête du point de vue sécurité pour les femmes – détenues et membres du personnel. « Le souci principal est comment accomplir notre mission – exécuter une décision judiciaire et préparer l’insertion et la réinsertion dans la société – tout en garantissant un maximum de sécurité, » explique Anne-Catherine Thill, la responsable de la section F. « Les données du terrain et la structure des bâtiments doivent être prises en considération, il faut constamment savoir où se trouve chaque femme, pour éviter qu’on ne la retrouve dans une auge. » Ces propos crus correspondent néanmoins à la réalité du danger. C’est la raison pour laquelle la mixité ne se fait qu’en présence des gardiens – dans les ateliers, au jardin, dans la cantine. Pour rentrer chez elles dans la maison Casel, elles sont obligées d’emprunter toujours le même chemin, surveillé par des caméras. Quand elles quittent l’enceinte pour rejoindre les autres bâtiments, les gardiens s’informent par émetteur-récepteur de leur départ et arrivée. Chaque retard de plus de cinq minutes risque une sanction. Aucun détenu ne peut accéder à la cour intérieure du bâtiment, même si les ateliers de Défi-Job se trouvent juste à côté.
« Au début, je ne me sentais pas du tout à l’aise côte à côte avec des hommes en train de faire du jardinage, raconte Irena* en lançant des regards inquiets autour d’elle pour montrer son appréhension. Après deux ans passés à la prison de Schrassig, elle a été transférée à Givenich le mois dernier. « On ne les connaît pas et on ne sait pas ce qu’ils ont fait. Mais peu à peu, on se rend compte que certains types sont sympathiques. »
L’arrivée de femmes à Givenich a créé des tensions, mais elle a aussi eu des effets positifs. « Les hommes se conduisent d’une autre manière, confirme Anne-Catherine Thill. Ça se voit rien qu’à leur allure. » De l’autre côté, les femmes ne seront toujours qu’une minorité, logées à part, comme venues d’une autre planète, disparaissant le soir dans leur bulle à elles. Les contacts intimes et la vie en couple ne sont d’ailleurs pas admis sur le site. « Les personnes qui bénéficient de la semi-liberté ont moyen de se rencontrer en-dehors de l’enceinte, cela ne nous regarde pas, précise-t-elle, mais il est hors de question qu’ils aient des contacts intimes ici. »
Ce qui ne change rien à la question fondamentale qui se pose maintenant : Avec quelle sorte de condamné peut-on organiser un régime mixte de détention semi-ouverte ?
« Cette question nous a forcés de nous professionnaliser, » explique Anne-Catherine Thill. La section F sert en quelque sorte de laboratoire pour la grande réforme pénitentiaire, annoncée par le ministre de la Justice, François Biltgen. « Avant chaque transfert, nous devons analyser la situation de chaque individu pour pouvoir évaluer les risques encourus – quelles données avons-nous sur cette personne et comment pourrons-nous agencer un éventuel transfert ? » Directrice-adjointe du centre de Givenich depuis deux ans, l’ancienne avocate est en contact régulier avec l’expert suisse Hans-Jürg Bühlmann, en charge de l’élaboration du nouveau concept. Un comité de transfert sera responsable de l’évaluation des risques et de la situation de chaque candidat qui doit aussi passer un entretien avec les autorités de Givenich. « Nous allons regrouper toutes ces données dans un document qui devra être plus étoffé et mieux renseigner sur les personnes que cela n’a été le cas jusqu’ici, » ajoute Anne-Catherine Thill, qui dit connaître chaque détenu personnellement. « Il faudra évaluer en lisant les jugements des tribunaux, en parlant avec les candidats, en demandant des expertises psychiatriques. C’est l’occasion de systématiser les données et de standardiser les dossiers. D’une part, nous demandons la transparence et plus de coopération, en retour, nous nous engageons d’élaborer un concept, un projet de remise en liberté. »
Les critères de sélection se résument en trois points : la dangerosité, le risque de fuite et l’état physique et psychologique de la personne. Et pour les étrangers, il faut le feu vert du ministère des Affaires étrangères pour pouvoir rester sur le territoire luxembourgeois. « Une personne qui a fait une rechute en consommant des substances interdites ou qui a une tendance suicidaire est mieux prise en charge à Schrassig où l’infirmerie fonctionne en permanence, » estime la jeune juriste.
Le respect des autres est un des engagements principaux pour pouvoir bénéficier d’un transfert à Givenich. D’un autre côté, cette promesse vaut aussi pour le personnel, comme le précise Anne-Catherine Thill : « Même si nous sommes chargés de garantir un maximum de sécurité, nous ne devons pas les considérer comme des enfants. Ce sont des adultes et il faut tout mettre en œuvre pour éviter la récidive. »
Le nouveau concept pénitentiaire prévoit d’ailleurs des changements dans la fonction de gardien qui deviendra « agent pénitentiaire » et devra assumer des fonctions d’assistance allant bien au-delà de la simple surveillance. Cela signifie notamment le respect de la sphère privée des détenus et notamment l’interdiction claire et nette de lire par exemple leurs journaux intimes. C’est tout un état d’esprit qui doit changer.
En novembre se terminera la phase pilote de la détention des femmes. Après une évaluation, Givenich pourra accueillir plus de femmes et, si nécessaire, lancer son projet maman-bébé. Des pourparlers sont menés avec une crèche de la région qui accueillerait l’enfant pendant que la mère travaille. Un autre projet est l’aménagement d’un studio pour les visites familiales – mais là encore, c’est une autre, longue histoire.