Non, le projet de loi n° 6054 « sur les associations sans but lucratif et les fondations » n’a pas été retiré, bien qu’il soit très contesté et contrairement à ce qu’on a pu lire et entendre. « Le texte suit son chemin à travers les instances, pourquoi le retirer ? » demande le ministre de la Justice François Biltgen (CSV), joint par le Land. Il a actuellement les mains dans le cambouis de ce projet, qu’il a hérité de son prédécesseur Luc Frieden (CSV) et qui se fait attaquer de toutes parts, aussi bien d’une vingtaine d’associations des secteurs social, culturel, sportif et écologique (d’Land n° 46/09) que par des fondations – trois d’entre elles, actives dans le domaine de l’écologie, « adressent un appel vigoureux [au Parlement et au ministre] pour retirer le projet de loi » dans leur avis du 2 avril – ou encore les chambres professionnelles – qui « ne peuvent approuver le projet de loi sous sa forme actuelle » selon l’avis commun de la Chambre de commerce et de celle des métiers du 7 avril.
Il y a un mois, le 10 mars, François Biltgen a tenté de calmer le jeu et de rassurer le secteur associatif lors d’une conférence de presse sur le sujet. Il y a présenté un plan d’action pour répondre aux multiples craintes et critiques énoncées depuis l’automne dernier. « Il importe au ministre de la Justice d’adresser au monde associatif le message que le Gouvernement a bien compris leurs doléances et qu’il reste à leur écoute » affirme-t-il dans le document publié sur le site du ministère, avant de rappeler que le projet de loi est « exclusivement ‘juridique’ » et « sert à adapter et à moderniser le cadre légal indispensable des asbl et des fondations ». Ce qui impliquerait aussi qu’il n’est « fonctionnellement pas en mesure de résoudre tous [les] problèmes [évoqués par les associations et] qui sont liés avant tout au bénévolat. »
En gros, François Biltgen n’est pas (ou plus) le ministre qui pourrait introduire un « congé associatif » (Travail) ou généraliser les maisons associatives (Intérieur), selon quelques-unes des idées que les asbl avaient lancées dans leur critique du projet de loi, lorsqu’elles espéraient qu’une telle réforme, dont personne ne semble mettre en cause la nécessité après 82 ans, fasse preuve d’un peu plus de visions et d’idées novatrices pour encourager le bénévolat et l’engagement citoyen.
Or, voilà, si les fondations Greenpeace, Hëllef fir d’Natur et ÖkoFonds regrettent qu’aucun débat ouvert n’ait eu lieu avant « d’imposer une réforme ayant une telle portée symbolique sur bon nombre de fondations existantes » et qu’il conviendrait de « peser les avantages et inconvénients d’un tel bouleversement », cela s’explique par la visée initiale de la réforme, qui s’inscrit dans l’action de l’ancien ministre de la Justice, également ministre du Trésor et du Budget, Luc Frieden, pour encourager la philanthropie comme une nouvelle activité de la place financière. Dans le contexte des discussions sur la création, en 2008, de la Fondation de Luxembourg, structure abritante de fondations à l’image de la Fondation roi Baudoin en Belgique par exemple, dont Luc Frieden préside le conseil d’administration, un certain nombre de doléances des fondateurs potentiels par rapport à la loi actuelle lui ont été rapportées. Elles concernent entre autres les lourdeurs administratives pour la création d’une fondation – durée jugée excessive de la procédure d’autorisation d’établissement par le ministre de la Justice, qui recueille l’avis du ministre des Finances –, les obligations de demander l’autorisation au ministre de la Justice pour pouvoir accepter des libéralités supérieures à 12 500 euros, ainsi que l’interdiction de fair don d’un immeuble au patrimoine de la fondation.
Les grandes lignes contenues dans ce projet de loi indiquent clairement que Luc Frieden comptait répondre à la demande de la place financière d’adapter la législation luxembourgeoise afin de devenir plus attractive sur le marché des HNWI (high net worth individuals), qui cherchent à placer leur fortune tout en faisant œuvre philanthropique avec une partie de cet argent. L’augmentation des seuils d’entrée (250 000 euros de patrimoine au départ) et des libéralités ne nécessitant pas d’autorisation (jusqu’à 30 000 euros) en sont des preuves.
Pourtant, et c’est ce que les auteurs du projet de loi se sont vus reprocher illico, le texte a été élaboré en totale ignorance de la pratique quotidienne et sans aucune consultation en amont du secteur associatif, qui voit dans ces nouvelles règles, notamment comptables, un carcan qui décourage l’engagement citoyen – au lieu de développer le bénévolat, comme le promet le programme gouvernemental. Surtout l’obligation de posséder un patrimoine de 250 000 euros pour lancer une fondation – le même montant que pour déclarer une fondation abritée auprès de la Fondation de Luxembourg – est virulemment critiquée. Même par les Chambres de commerce et des métiers, qui estiment qu’« une fondation doit pouvoir être constituée à partir de rien pour ensuite, grâce à son activité, générer des ressources qui seront affectées à la poursuite de l’œuvre du fondateur et à la constitution, a posteriori, d’un capital de réserve ».
Sans la retirer – il faut aussi éviter de faire perdre la face à son prédécesseur – François Biltgen veut scinder le projet de loi en plusieurs volets. Il a d’ailleurs écrit au Conseil d’État pour lui indiquer la voie à suivre : les fondations seront séparées des associations, il attend un premier avis des conseillers sur les fondations afin que leur cadre juridique puisse être adapté en priorité. Les associations seront, elles, subdivisées en deux catégories bien distinctes : d’un côté les petites et moyennes associations sans but lucratif et de l’autre celui des grandes associations œuvrant dans le domaine social, de l’économie solidaire ou de la santé qui gèrent de grandes structures et des dizaines, voire centaines d’employés et qui sont loin du petit club vendant une fois par an des Péckvillercher pour se payer des livres pour la bibliothèque.
C’est sur ce volet des grandes associations qu’il y a l’urgence d’une réforme. Car si par exemple la Chambre des salariés constate, dans son avis sur le projet de loi, « qu’au fil des dernières décennies, les associations sans but lucratif destinées à fournir le cadre juridique à la vie associative ont été dénaturées tant par les pouvoirs publics que par les entreprises qui ont recouru à un démembrement de certaines de leurs activités ou à un détournement des règles de gestion en vigueur », les autres chambres professionnelles voient elles aussi d’un mauvais œil cette concurrence qu’ils estiment faussée, par exemple des initiatives pour l’emploi. D’ailleurs, au plus tard l’arrêt du 2 décembre 2008 de la Cour administrative (d’Land n°50/08), qui estimait que « le fait même de l’absence de but lucratif, avec la possibilité corrélative de produire et travailler à des prix défiant toute concurrence, place les asbl dans une situation privilégiée et anticoncurrentielle par rapport aux entreprises commerciales et industrielles » et que « le fait d’admettre la participation d’une asbl à une soumission publique implique une distorsion de la concurrence et que la forme de l’asbl n’est pas conciliable avec les exigences posées par la législation sur les marchés publics » a augmenté la pression sur ce secteur.
Donc, pour ce volet spécifique des associations qui ont bien une activité artisanale, commerciale ou industrielle (bien qu’elles ne visent pas l’enrichissement de leurs administrateurs) et selon la promesse du programme gouvernemental de 2009 selon lequel « le Gouvernement élaborera un projet de loi sur l’association d’intérêt collectif », le ministre de la Justice fignolera cette réforme en collaboration avec le ministre délégué à l’Économie solidaire, Romain Schneider (LSAP). Elles pourraient é l’avenir devenir des « sociétés à finalité sociale », mais la réflexion n’en est encore qu’à ses tout débuts, le ministère vient seulement d’engager une juriste au 1er mars, qui a comme mission prioritaire de se consacrer à une analyse puis une proposition d’avant-projet de texte, attendue avant l’été. « Certes, concède le ministre délégué vis-à-vis du Land, il y a urgence en ce qui concerne l’accès aux marchés publics des initiatives pour l’emploi, mais elles ont plusieurs activités ». Une question charnière dans cette réflexion est celle des recettes et des bénéfices, que ces structures devraient pouvoir garder et gérer elles-mêmes à l’avenir (voir d’Land n° 31/09).
Une fois ces grandes machines exclues du secteur associatif, les petites et moyennes associations de bénévoles devraient voir les exigences administratives revues à nouveau à la baisse par rapport au projet de texte. Ainsi, les activités commerciales exercées à titre accessoire – la fameuse vente de saucisses à la fête locale pour renflouer les caisses – resteront autorisées, c’était un des points ayant provoqué le plus d’émois. Les seuils prévus au-delà desquels des règles comptables professionnelles s’imposent – notamment le recours à un expert externe – seront augmentés et en deçà de ces seuils, une simplification administrative par rapport aux exigences actuellement en vigueur sera opérée.
Car si les représentants des associations se sont émus des critères prévus, beaucoup d’entre eux ignoraient qu’actuellement, la majorité des asbl enfreignent la loi en vigueur en ne déposant ni bilans ni modifications de leurs statuts ou de la composition de leurs conseils d’administration auprès du Registre de commerce. Dans une lettre publiée dans la presse quotidienne début mars, Serge Kollwelter de l’Asti stigmatisait ainsi le fait que « 80 pour cent des asbl n’étaient pas en règle en 2009 », car 1 340 sur 7 639 d’entre elles n’avaient pas déposé de bilan pour l’année précédente. Or, le projet de loi n’a pas réussi à articuler les améliorations prévues, qui devaient procurer davantage de flexibilité aux asbl. François Biltgen, qui aime à affirmer qu’il connaît bien la vie associative pour avoir été président d’un club de basket, veut donc aussi mieux structurer cette réforme.
Reste un troisième volet du plan d’action du ministre, celui qui concerne la valorisation et l’encouragement du bénévolat, « mais cela n’est vraiment pas de mon domaine » insiste François Biltgen. Une concertation avec les autres ministères en charge des différents sujets évoqués dans les critiques du monde associatif est prévue : avec celui du Travail pour l’introduction d’un éventuel congé associatif, celui des Finances pour de possibles allégements fiscaux, celui de la Famille pour les subventionnements et le volet social, et celui de l’Intérieur pour l’appui public ou la mise à disposition de maisons associatives – tout cela en temps de caisses vides. Les premiers amendements à la réforme devraient pouvoir être déposés en automne.