Lorsque la loi contre le duel entra en vigueur en 1879, la population luxembourgeoise était à mille lieues de savoir qu’elle pourrait servir un jour à lutter contre le terrorisme, le crime organisé et le blanchiment d’argent. 131 ans plus tard, les députés ont voté une loi qui oblige les opérateurs de télécommunications de stocker pendant six mois les données concernant tous les appels, textos et courriels. Et elle permet au juge d’instruction de lancer les enquêteurs à la recherche de la missive qui pourra démontrer les relations entre gangsters. Or, les autorités ne pourront se fier qu’aux données concernant la communication elle-même – le destinataire, la date etc – sans pouvoir mettre leur nez dans le contenu qui, lui, ne sera pas stocké. En principe, dès que les descendants de Bokassa vous adresseront un mail de type « My dear friend », vous demandant de placer leurs millions sur votre compte en banque, vous risquerez de tomber dans le viseur de la police, du moment qu’une enquête est en cours contre les destinateurs. Même si vous l’avez éliminé illico ou s’il a été transféré d’office dans le dossier « courrier indésirable ».
Le lien avec l’interdiction de se battre en duel ? Pour pouvoir lancer l’enquête, le juge aura besoin d’une infraction dont la peine est fixée à un an de prison, c’est tout. C’est aussi le cas pour le duel, l’atteinte à l’honneur, la destruction de clôtures, la vente ou l’utilisation de détecteurs de radars par exemple. Le ministre des Communications, François Biltgen (CSV), qui est aussi ministre de la Justice, justifie son choix de fixer le seuil de peine à un an seulement par le fait que le terrorisme et le grand banditisme ne sont pas des infractions primaires, mais qu’ils sont détectés via des infractions mineures. Gardons un œil sur le chapardeur d’œuf, il nous mènera au voleur de bœuf. Pour ratisser large, il faut donc garder la barre au niveau plancher.
Les députés, sous pression juste avant les vacances, n’ont pas tous été très à l’aise pour voter cette loi le mois dernier, car ils savaient bien que les résultats à attendre de la rétention des données ne seront pas en relation avec l’énorme sacrifice en matière de libertés individuelles. Autant s’en débarrasser au plus vite, fut le crédo au parlement. Surtout parce que le gouvernement avait laissé traîner les choses en dépassant une nouvelle fois le délai fixé par la Commission pour transposer la directive sur la rétention des données et risquait une sanction. Le ministre avait même tenté d’éviter des amendements à son projet de loi, pour aller plus vite. Ce sera donc encore une fois la faute à Bruxelles si le débat n’a pas eu lieu. Trop facile.
Pour éviter le ridicule, François Biltgen a promis de revoir le catalogue des infractions qui se soldent par un an de prison. Ce sera fait à l’automne prochain, a-t-il juré au parlement, dès l’entrée en fonction du nouveau procureur général d’État. Peut-être, mais le principe laisse un arrière-goût amer : les députés votent des lois sur base de promesses faites par le gouvernement au lieu d’attendre que celui-ci ait fait son travail, qu’il ait dépoussiéré son code pénal pour, après seulement, évacuer proprement son travail. Surtout pour une matière aussi sensible qui touche directement les libertés individuelles.
Car les députés se sont une nouvelle fois laissé séduire par la promesse d’évaluation de ces nouvelles mesures. Or, on se souviendra de celle concernant la vidéosurveillance par la police en Ville. Cela fait un an que le public l’attend. Le gouvernement avait sans doute mal compris, il ne lui a servi que des statistiques – et encore sous la pression. C’est dire le sérieux avec lequel les autorités traitent la question. Réconfortant.